La ville bétonne, l’agriculture trinque…

Publié le 5 juin 2010

Jean-Pierre Fauré a du mal à accuser le coup : « Après 5 ou 6 ans de galère, avec soit des sécheresses, soit des printemps pourris, qui ont mis mes finances et mon moral à mal, il ne manquait plus que ça… » Cet horticulteur de 50 ans, installé au centre de Revel, a subi de plein fouet les pluies diluviennes qui se sont abattues sur la ville, dans la nuit du samedi 12 juin dernier. Vision de désolation, des monticules de pots jonchent le fond du terrain. Ils proviennent des serres qui ont été entièrement vidées de leur contenu par la violence des inondations. À leur place, un dépôt de limon collant qui mettra des mois à partir. Les bureaux et le magasin se remettent difficilement des 80 cm d’eau qui y sont passés. Le ciment de ses allées a éclaté. Dans la rue devant, le revêtement des trottoirs n’est plus qu’un souvenir…

Des décennies d’erreurs d’aménagement

Jean-Pierre Fauré est le dernier d’une longue lignée de maraîchers, installés à ce même endroit depuis des générations. Situées au point le plus bas de la ville, ces terres recevaient naturellement les eaux de pluies, avant la généralisation de l’eau courante puis de l’irrigation. Des fortes pluies, Jean-Pierre en a toujours connues, tout comme ses parents avant lui. « Mais avant, il y avait des champs derrière », explique-t-il. « L’eau ne faisait que passer, faisant quelques dégâts en sortant de son fossé, mais on savait les prévoir. Aujourd’hui, tout a été bétonné. » Derrière l’exploitation, il y a maintenant une voie ferrée, puis une route, puis un lotissement construit sur un remblai à 3 mètres au-dessus du niveau des serres. Quant au fossé, il a été remplacé, sous la route, par une canalisation d’1m50 de diamètre, ce qui aurait dû être suffisant. « Le problème, c’est que, tout d’abord, cette canalisation fait des coudes incompréhensibles, qui vont jusqu’à l’angle droit ! », s’agace l’horticulteur. « Puis aux passages sous la voie ferrée et la route, l’eau passe par 2 petites buses, alors que depuis le début, je les ai conjuré de faire un aqueduc d’un à deux mètres de large. Et pour terminer, la canalisation débouche sur un fossé non curé, avec un arbre au milieu dont je réclame l’enlèvement depuis pas loin de 10 ans ! » Fatalement, avec les 170 mm qui sont tombés en 4 heures sur Revel, les eaux piégées par les canalisations déficientes et le remblai des lotissements n’ont eu d’autre choix que de refluer vers l’amont. Et de s’installer une douzaine d’heures dans les établissements Fauré…

On reparle d’assurances

Ce qui désole le plus Jean-Pierre Fauré, c’est qu’il n’a aucun moyen de s’assurer contre ce genre de sinistre. « Grêle ou incendie, j’aurais été remboursé », s’emporte-t-il. « Mais pour se couvrir contre le risque Inondation, pas moyen pour moi. Seuls les agriculteurs en grandes cultures peuvent le faire. » Son seul espoir de récupérer un peu de ses pertes est que la commune de Revel soit reconnue en catastrophe naturelle et que son cas soit classé en calamité agricole. « Mais même dans ce cas, les indemnisations éventuelles seront loin de couvrir les dégâts », soupire l’horticulteur. Et il parle en connaissance de cause. Le même scénario s’est déjà produit en 1998, avec deux inondations à un mois d’intervalle (!), moins violentes mais tout aussi préjudiciables. En cumulant les dégâts sur les cultures pour ses sinistres du 30 mai et du 2 juillet 1998, les pertes s’élevaient à 1.460.000 FF. Pour le matériel, elles étaient de 55.000 FF. Les dégâts matériels ont été couverts par son assureur. Pour les pertes de cultures, la procédure Calamités Agricoles ayant abouti, il a reçu 460.000 FF de dédommagement… 3 ans après. « Il m’a fallu des années pour m’en remettre », poursuit Jean-Pierre Fauré. « Tout ça pour que ça recommence 12 ans après, sans que rien n’ait été entrepris pour améliorer l’évacuation des eaux, ni qu’un quelconque moyen de se couvrir n’ait été mis en place par les assurances. C’est à désespérer. » Pour l’heure, Jean-Pierre a entrepris les démarches auprès de la Chambre d’Agriculture pour la reconnaissance en Calamité. Et il espère que la mairie prendra enfin quelques mesures pour éviter, ou du moins atténuer, les ravages de ces inondations trop prévisibles.

Coup de gueule

« C’est la 4ème fois ! »

Christian Marty
Christian Marty

Christian Marty aussi est en colère. Ce week-end du 12 juin, une partie de ses parcelles, en périphérie de Revel, s’est retrouvée sous 10 à 50 cm d’eau. Le fossé qui traverse ses parcelles évacue les eaux de Revel  et se jette au confluent des ruisseaux du Sor et du Laudot. Il aura fallu qu’il se batte plusieurs années pour qu’il soit enfin curé. Et encore, cela n’a été fait que sur ses terres. Un peu en amont de ses terres, le même fossé est encombré d’arbustes et de débris. Ce qui a amené le trop plein d’eau a déborder dans ses champs…

« J’ai aussi dû lourdement insister pour qu’on installe des buses de plus gros diamètre pour le franchissement de mon fossé », rappelle-t-il. « Sans cela, les dégâts auraient été encore plus importants. » Christian Marty s’estime heureux de s’en tirer sans trop de casse. Son maïs semence et ses lentilles devraient pouvoir repartir. Ce qui l’agace profondément, c’est le peu de cas qui est fait de l’entretien des fossés et de l’avis des agriculteurs dans l’aménagement de la voirie. « C’est la 4ème fois depuis 1992 que je suis inondé par les eaux de la ville », s’insurge l’exploitant. « On sait qu’on ne peut pas vraiment l’éviter. Mais toutes les solutions pour limiter les dégâts sont rejetées, pour des questions de budget. Résultat, c’est encore l’agriculteur qui va payer. »

Auteur de l’article : Sébastien Garcia