Une grande voix du syndicalisme s’est éteinte

Publié le 20 février 2017

C’est quelques jours après avoir annoncé vouloir briguer un nouveau mandat comme président de la FNSEA que Xavier Beulin vient de décéder d’une crise cardiaque. Président du premier syndicat agricole français depuis 2010, il avait hésité à se représenter à nouveau mais s’y était résolu, « malgré la charge, qui est lourde. » Il avait décidé de poursuivre sa mission, car « je crois pouvoir encore porter au nom des agriculteurs, un projet. Il consiste à faire reconnaître la diversité de l’agriculture française mais aussi à libérer les énergies dans ce secteur, tout en faisant reconnaître le besoin de politiques publiques. » Il portait en lui une vision modernisée, avant tout économique de l’agriculture.

Un style nouveau

Xavier Beulin avait apporté un style nouveau à la FNSEA. Patron de Sofiprotéol (renommé et transformé en groupe Avril depuis) à l’époque de son élection comme président de la centrale syndicale, il avait une claire notion des enjeux industriels et stratégiques des filières. S’il était critiqué pour cette double casquette par certains, lui, au contraire, revendiquait cette double responsabilité pour ce qu’elle lui apportait de culture économique au service des agriculteurs. Lui-même, à la tête de la fédération des producteurs d’oléoprotéagineux (FOP) à la suite de Jean-Claude Sabin, savait ce que c’était que de bâtir une filière prospère, avec des cartes maîtresses dans l’aval industriel (Lesieur, Diester, etc.) malgré (ou à cause de) une très faible protection de la part de la politique agricole commune. Lors de son élection, il croyait fermement que l’avenir de l’ensemble de l’agriculture passait par ce modèle. De fait, il savait que la protection européenne, écartelée entre des intérêts nationaux trop divers, ne protégerait et ne soutiendrait bientôt plus l’agriculture comme par le passé. Il ne cessait de répéter, encore récemment, que les agriculteurs devaient trouver des solutions par eux-mêmes, en créant des filières solides, solidaires, avec un amont agricole exerçant le rôle principal. Le rôle de l’Etat devait être avant tout de créer des conditions permettant à ces filières de se développer.

Les crises de l’élevage

Les crises de l’élevage mais aussi des grandes cultures ont, depuis, rattrapé cette vision mais n’ont pas changé son discours. Tout en bataillant pour un soutien public aux plus touchés par la crise, sur lequel il devait d’ailleurs revenir à la veille du salon de l’agriculture 2017, il insistait toujours sur l’importance des négociations commerciales pour que les agriculteurs retrouvent de la rentabilité. Le processus des négociations doit être inversé, expliquait-il. Non pas partir de baisses des prix consommateurs pour aboutir à des prix agricoles mais partir des charges payées par les paysans pour aboutir ensuite à des prix consommateurs. Toujours plus confiant dans les rouages de l’économie, les progrès de la recherche et des technologies, que dans des subventions ou protections gouvernementales, il se voyait parfois critiqué par des agriculteurs eux-mêmes, au plus fort de la crise de l’élevage, qui demandaient que les pouvoirs publics interviennent dans la fixation des prix.

Plus généralement, Xavier Beulin estimait que la politique économique devait abandonner l’obsession de la demande pour adopter une politique de l’offre qui contribuerait à relancer l’emploi et donc le pouvoir d’achat.

Relations difficiles avec Stéphane Le Foll

Une stratégie syndicale qui insistait tout autant sur la diversité des formes d’agriculture, circuits courts, bio, agriculture raisonnée, pluriactivité, etc., dès lors que ces diverses agricultures trouvaient leur marché. Quant aux contraintes écologiques, celles-ci ne devaient pas se traduire par des excès de complexité administrative et devaient préserver la rentabilité des exploitations. Il se disait toujours choqué de voir le ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll, davantage mettre en avant l’écologie que l’économie du monde agricole, dans son projet d’agroécologie. Entre les deux hommes, le courant n’est jamais bien passé, allant parfois jusqu’au conflit ouvert et un congrès de la FNSEA 2016 très dur. Si dur que Xavier Beulin en était lui-même embarrassé. Ses relations étaient bien plus cordiales avec le président de la République ou le premier ministre Manuel Valls qu’avec Stéphane Le Foll. Les premiers représentaient souvent un recours, notamment ces derniers mois pour face à la crise agricole.

«Une charge lourde»

Dans une interview à Agra Presse, le 26 janvier, Xavier Beulin avait confié avoir hésité à solliciter le renouvellement de son mandat, évoquant « la charge, qui est lourde ». Il avait décidé de poursuivre sa mission, car « je crois pouvoir encore porter au nom des agriculteurs, un projet. Il consiste à faire reconnaître la diversité de l’agriculture française mais aussi à libérer les énergies dans ce secteur, tout en faisant reconnaître le besoin de politiques publiques. » « Nous sommes dans une situation où les agriculteurs subissent trois crises, expliquait-il, une crise économique, une crise sanitaire, et une autre, climatique. Partir aujourd’hui n’était pas satisfaisant. Plusieurs engagements sont loin d’être aboutis. L’agriculture n’est pas un secteur comme les autres. Il est très exposé, tant sur des contextes économiques que sur des exigences environnementales ou sociétales.»

Que l’agriculture française retrouve son rang en Europe

Quant aux priorités qu’il s’était fixées, « la première c’est que l’agriculture française retrouve son rang en Europe, un rang qu’elle a largement abandonné à ses voisins ces dernières années. Cela implique, pour libérer les énergies, des mesures, sans doute très ciblées comme la fiscalité ou le statut. Le deuxième objectif concerne la place des agriculteurs dans ce pays. Les enquêtes d’opinion montrent que la population aime les agriculteurs, mais elle en fait souvent des boucs émissaires pour tout et rien. Voyez les émissions multiples qui sont à charge, ou encore ce qui se diffuse sur les réseaux sociaux. C’est affligeant.» Le troisième objectif de Xavier Beulin était « la question de savoir si nous sommes capables d’adapter l’agriculture, dans sa diversité, à des besoins d’efficacité économique. »

Un orateur efficace

Cette vision avant tout économique plutôt que revendicatrice du syndicalisme agricole n’empêchait pas le président de la FNSEA d’être un orateur efficace, entraînant ses troupes vers des directions qui pouvaient les surprendre elles-mêmes. S’il était rarement à l’origine de manifestations de rues, il ne s’y opposait pas, dès lors qu’il sentait que la base devait s’exprimer ainsi.

Gros travailleur, hyperactif, même, l’allure plutôt sportive, il se déplaçait souvent en moto, ce qui lui avait valu un accident un jour en venant à Paris. La mort l’a saisi alors qu’il considérait sa mission comme non encore terminée. Sa succession devrait être réglée à l’occasion du prochain congrès de Brest, fin mars, de la FNSEA. La chose ne sera pas aisée…

Le syndicat a annoncé que, conformément à ses statuts, l’actuelle première vice-présidente du syndicat, Christiane Lambert, assurera la présidence jusqu’au prochain Conseil d’administration électif du 13 avril prochain. Et d’ajouter que « cette présidence est conduite en étroite collaboration avec les secrétaires généraux (Jérôme Despey et Daniel Prieur, ndlr) et le deuxième vice-président (Henri Brichart, ndlr) de la FNSEA. »

 

Nombreuses réactions après le décès de Xavier Beulin

Yvon Parayre, Président de la Chambre d’Agriculture 31

« Nous perdons un visionnaire. Xavier Beulin voyait grand et voyait large. Sa maîtrise des dossiers agricoles comme ses connaissances de la géopolitique mondiale en faisaient un interlocuteur de choix et un ardent défenseur de l’agriculture française dans toutes ses dimensions. La plupart de ses détracteurs ne l’ont vraisemblablement jamais rencontré. Il suffisait de discuter quelques minutes avec lui pour se rendre compte de la profondeur et la qualité de l’homme. Convaincu, tenace et rassembleur, c’est un vrai leader qui s’en est allé. »

Luc MESBAH, Président de la FDSEA31 & Christian MAZAS, Président de la FRSEA Occitanie

« Xavier Beulin a rejoint quelques grands noms de la FNSEA, tels que Jean-Michel Lemétayer et Raymond Lacombe. Ayant repris l’exploitation familiale à 17 ans, après la mort de son père, ce grand homme n’avait pas le bac. Et pourtant, il a su mener de front sa carrière d’exploitant agricole, la présidence du Groupe Avril et de la FNSEA. En 2010, Xavier Beulin avait été élu par les agriculteurs adhérents pour porter la voix du syndicalisme majoritaire. Un syndicat élu à la tête de la plupart des Chambres d’Agriculture depuis toujours. Cependant, plusieurs médias s’en sont donnés à coeur joie contre le Président de la FNSEA, critiquant sa double casquette et prétendant qu’il ne pouvait pas représenter les agriculteurs et diriger un grand groupe tel qu’Avril. C’est pourtant justement sa présidence du Groupe Avril qui lui a permis de participer à la construction d’une filière forte et de faire le pont entre l’amont et l’aval.

N’oublions pas que ce groupe a permis d’impulser la filière biocarburant et d’inciter les pouvoirs publics à développer une fiscalité tournée vers le développement de cette filière. Grâce à ce groupe, les éleveurs disposent désormais de tourteaux de colza tracés, de proximité, sans OGM qui ont une place importante dans l’alimentation du bétail. En quinze ans, la dépendance de la France en protéines est passée de 70% à 45% aujourd’hui.

Xavier Beulin a donc su utiliser ses deux casquettes dans l’intérêt des agriculteurs. Malgré ses multiples mandats, il restait un paysan et était régulièrement associé aux travaux de son exploitation (préparation du sol, récolte et participation aux décisions).

La France, et surtout les agriculteurs, perdent aujourd’hui un grand défenseur de la cause paysanne. »

Richard Sié, Président de la CRL

« J’ai fait la connaissance de Xavier Beulin quand il œuvrait à la FOP. On ne pouvait pas rester insensible à cet homme qui aimait profondément le monde agricole. Le qualificatif qui me vient immédiatement en tête, c’est « à la hauteur ». Par ses connaissances, ses compétences, sa vision et son engagement, il a prouvé à maintes reprises qu’il était parmi les meilleurs à pouvoir porter la voix de l’agriculture. Sa mort si jeune est un drame pour sa famille, à qui la CRL adresse ses sincères condoléances, et pour la profession, qui perd un homme rare. »

Daniel Gesta, Président de la MSA Midi-Pyrénées Sud

« C’est avec stupeur et tristesse que les membres du Conseil d’Administration et moi-même avons appris la disparition de Xavier Beulin. Nous perdons une grande figure du syndicalisme agricole. C’était un homme capable de débattre avec les plus hautes instances françaises ou européennes sur les dossiers les plus complexes, puis de redevenir un agriculteur comme les autres, quand on le croisait sur une exploitation agricole ou en réunion locale. Sa simplicité et sa disponibilité étaient indéniablement la marque d’un grand homme. »

Jacques Sarlaboux, Président de la fédération Groupama 31

« C’est avec émotion que j’ai appris le décès prématuré de Xavier Beulin. Nous connaissions tous ses convictions profondes pour anticiper et accompagner les évolutions du monde agricole. Nous ne pouvons que saluer l’engagement réel de cet homme au côté du monde paysan. Au nom de Groupama, j’adresse à sa famille et à ses proches mes sincères condoléances. »

Robert Conti, Président du Crédit Agricole Toulouse 31

« Xavier Beulin était un agriculteur engagé et ardent défenseur de l’agriculture française. Au-delà d’avoir été un homme de valeurs et de conviction, il a marqué l’Histoire de l’Agriculture par sa présence auprès des agriculteurs et par son engagement auprès des filières agricoles. Notre conseil d’administration adresse ses plus sincères condoléances à sa famille et à ses proches. »

Le bureau Jeunes Agriculteurs 31

« Nous nous associons à la douleur du syndicat de la FNSEA. Nous soulignons l’engagement de Xavier Beulin, qui a porté ses convictions pour le développement de l’agriculture française. »

François Hollande, Président de la République

« Il s’agit d’une perte majeure pour la France. »

Bernard Cazeneuve, premier ministre

« Un grand chef d’entreprise [convaincu que ses idées] concourraient à construire l’agriculture de demain. »

Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture

« Un pilier du mouvement syndical agricole [avec qui], au-delà de nos différences, j’ai toujours travaillé à trouver des solutions pour soutenir une agriculture qui traverse des moments difficiles. »

FNSEA

« Engagé depuis l’âge de 17 ans pour l’agriculture, Xavier Beulin a donné au syndicalisme et aux filières agricoles des lettres de noblesse et un élan incomparable. »

Claude Cochonneau, Président de l’APCA

« L’agriculture française perd un grand responsable. »

Coop de France

« Le monde agricole français et européen perd un de ses plus grands défenseurs. »

Confédération Paysanne

[au-delà de nos divergences], « le décès de Xavier Beulin est un choc pour l’agriculture. »

Il faut noter aussi l’émotion de la FRSEA de sa région Centre Val-de-Loire, les hommages de la FCD (Commerce et distribution), du patron de la Sopexa, Jean-René Buisson, ainsi que les réactions de François Fillon, Benoît Hamon et Emmanuel Macron, candidats à la présidentielle, de même que Manuel Valls, François Bayrou et du FN. D’autres membres du gouvernement se sont également exprimés, à l’instar de Ségolène Royal ou Jean-Marc Ayrault.

Auteur de l’article : Sébastien Garcia