Gestion de l’eau : on marche sur la tête !

Publié le 16 février 2010

Colère et consternation. Les sentiments des 250 irrigants réunis à Mauzac, le 9 février dernier oscillaient de l’un à l’autre, au gré des interventions des élus et techniciens de la Chambre d’Agriculture. Consternation devant les simulations présentées par Pierre Goulard, chef du service Agronomie – Environnement, quant au niveau des volumes prélevables pour 2011 sur le bassin Adour-Garonne. Colère devant l’incroyable indifférence des Pouvoirs Publics face à la disparition programmée d’un pan entier de l’agriculture régionale.

Pour qui sonne le glas…

Pour l’ensemble des irrigants, à en juger par l’intervention de Pierre Goulard. Pour la campagne prochaine, le mode de calcul des volumes prélevables par l’irrigation agricole va changer. Il passera d’un système basé sur des autorisations de prélèvement temporaires accordées par la Préfecture, à une autorisation pluriannuelle, délivrée par l’État à un organisme unique en fonction d’un volume d’eau à se répartir par Unité de Gestion (UG).

Le principal problème vient du mode de calcul de ces volumes prélevables, basé sur l’année la plus sèche sur une période de 5 ans. Si les cours d’eau réalimentés pâtissent déjà de ce changement (de -15 à -39% pour le Tarn, par exemple), le résultat est tout bonnement catastrophique pour les axes non réalimentés. Pour l’UG 7 (entre Valentine et Boussens), la baisse entre volumes prélevables sur les cours non compensés et autorisations actuelles atteint 60 % !

Luc Mesbah, élu en charge du dossier « Eau » à la Chambre d’Agriculture, ne décolère pas : « Ce dispositif n’amène aucune amélioration prouvée pour les milieux aquatiques. On va flinguer des irrigants pour rien ! Il faut quand même rappeler que les déficits hydriques se prolongent bien après les campagnes d’irrigation, avec les débits au plus bas en novembre/décembre, voire janvier. »

Quelles sont les marges de manœuvre de la profession ? Faibles, reconnaît Pierre Goulard. Mais si les Chambres d’Agriculture du bassin, qui se sont portées candidates, sont désignées comme organisme unique, elle disposerait d’un levier un peu plus conséquent sur la politique de gestion de l’eau. « Le Conseil Général et d’autres organismes gestionnaires d’ouvrages se sont également mis sur les rangs », rappelle Yvon Parayre. « Mais je ne vois pas qui mieux que les Chambres d’Agriculture ont légitimité à gérer un dossier aussi délicat. »

Pour enfoncer le clou, l’Agence de l’Eau Adour-Garonne a décidé une nouvelle augmentation de la redevance pour prélèvement d’irrigation, pour la 3éme année consécutive. De 0,5 centime d’€ du m3 en 2007, la redevance prévue pour 2011 sera de 1 centime. Du simple au double… Ajoutez à cela, une redevance supplémentaire de 0,4 cts du m3 pour les irrigants prélevant dans la Garonne. Ramené à l’ha irrigué, sur une base de 3.000 m3/ha, la redevance passera de 16 à 32 € en Haute-Garonne et de 16 à 44 € pour ceux qui prélèvent dans la Garonne.

Mais avec seulement 9 agriculteurs sur les 120 membres du Conseil d’Administration d’Adour-Garonne, difficile de se faire entendre. Dominique de Vulpillières, agriculteur à Lavernose Lacasse, a témoigné ce soir-là du peu de cas qui est fait de l’agriculture : « Nous avons demandé par écrit une rencontre urgente avec Martin Malvy, Président de l’Agence. C’était il y a 3 semaines. On attend toujours une réponse… »

 

Battre le rappel des irrigants

« Cette gestion volumétrique et l’augmentation de la redevance sont des non-sens », tempêtait Yvon Parayre, Président de la Chambre d’Agriculture 31. « On ne cesse de répéter partout que l’agriculture est le 1er employeur régional et que toute atteinte qui lui est faite a des répercussions sur l’emploi. Avec la disparition d’une bonne partie de nos irrigants, ce seront entre 6 et 9.000 emplois qui seront supprimés, sur les 240.000 générés par l’agriculture sur les 18 départements concernés ! Tout cela sans que cela paraisse émouvoir le moins du monde nos politiques… »

Le fait est qu’aucune évaluation économique de ces décisions ne semble avoir été faite par les Pouvoirs Publics. Avec en moyenne 1.800 m3/ha disponible avec ce nouveau mode de calcul, ce ne sont pas les seuls maïsiculteurs qui seront touchés, mais bien l’ensemble des productions ayant recours à l’irrigation : maraîchage, arboriculture, horticulture, etc.

« L’irrigation n’est pas un luxe ! », martelait Luc Mesbah, « C’est parce que l’administration nie cette réalité que nous avons quitté la salle lors de la dernière réunion avec le préfet coordonnateur de bassin. La seule solution valable est la création de réserves. Ce n’est quand même pas compliqué de comprendre ça ! »

Le torchon brûle avec l’administration. Visiblement remonté, Yvon Parayre a exhorté les participants à mobiliser largement autour d’eux : « La Chambre d’Agriculture ne pourra pas tout faire seule. Or il faut qu’on réagisse et que l’on soit virulents ! On nous demande de produire en qualité et en quantité et, à coté de ça, on nous supprime un à un tous nos moyens de production. La coupe est pleine ! Il faut en faire rapidement la démonstration à l’État, via le Préfet, et à l’Agence de l’Eau. Nous comptons mener une action forte le 8 mars prochain à Toulouse. Allez chercher vos collègues et expliquez-leur la gravité de la situation. Et dites-leur que notre Préfet, en bon citadin qu’il est, ne bougera pas si nous restons dans notre coin. Après, il sera trop tard. »

Ils ont dit :

Serge Murador, maraîcher à St Jory : « L’eau, c’est la vie ! Sans elle, rien ne pousse. À plus forte raison pour les productions maraîchères où la moindre coupure est fatale. Veut-on vraiment d’une agriculture en France ? Avec ces nouvelles règles, je sais que je peux définitivement arrêter de travailler, je ne saurai rien produire. »

Jacques Beauville, agriculteur à Saubens : « L’irrigation pour moi, c’est l’équivalent de la sécurité de l’emploi pour un fonctionnaire. Essayez de remettre en cause cette sécurité de l’emploi ou annoncez la suppression de 6.000 emplois à Airbus et vous verrez des milliers de personnes descendre dans la rue. Nous devons réagir de la même façon et aller défendre bec et ongles notre outil de travail ! »

Dominique de Vulpillières, agriculteur à Lavernose Lacasse : « On en a, de l’eau ! Les chiffres montrent bien qu’on a de fréquents excès d’eau au cours de l’année. Il faut absolument qu’on arrive à canaliser cette eau et créer des réserves. C’est un combat que nous devons mener main dans la main, tous syndicats confondus. »

Marie-Thérèse Lacourt, agricultrice à Azas : « Partout où il y a des retenues et donc que les volumes disponibles sont connus, il n’y a aucun problème à gérer les campagne d’irrigation. Faire des réserves est une évidence. Sinon, l’administration n’a plus qu’à prévoir des mesures de reconversion pour les agriculteurs qu’elle sacrifie et à décider de ce qu’elle fera de ces territoires vides… »

Benoit Dal, agriculteur à Bessières : « Même en 2003, avec un débit du Tarn à 12 m3/sec, soit bien en dessous des DOE, je ne me souviens pas d’avoir vu des poissons avec le ventre en l’air. Les pêcheurs se disent aussi satisfaits de la qualité de l’eau. Je me demande donc sur quoi sont basés ces DOE. Sont-ils techniques ou juste technocratiques ? Est-ce que si, pendant 10 jours, on tombe sous cette barre, nous allons réellement faire crever l’environnement ? J’en doute. »

Gilles de Faletans, agriculteur et maire de Cornebarrieu : « Il y a une réelle volonté de condamner l’agriculture française au profit de l’Europe de l’est, en pleine expansion. Notre disparition est programmée. »

Alain Brousse, agriculteur à Beaumont sur Lèze : « Le Gouvernement a décidé de faire un grand emprunt pour financer de travaux nécessaires à l’avenir de notre pays. Il faudrait ajouter la création de réserves en eau à cette liste de projets. »

Un irrigant : « Tous les usages de l’eau devraient être garantis par une ressource correspondante. Il est totalement irresponsable qu’une agglomération comme Toulouse soit dépendante des seuls débits de la Garonne ! »

Luc Mesbah, Chambre d’Agriculture : « Si le barrage de Charlas devait être mis en eau, cela représenterait un prélèvement de 3% de l’eau qui passe aux pieds des Pyrénées. Cela vaut-il la peine de tergiverser et de condamner l’agriculture et les emplois qui en découlent pour 3% ? Quant au coût décrié de 300 millions d’euros, une fois réparti entre 18 départements, il est ridicule comparé à la sécurisation que cela apporte. »

Un irrigant : « À quoi ça sert que le département et la région financent la rénovation des réseaux d’irrigation, si l’on n’a plus d’eau à mettre dedans ? C’est du gâchis et une incohérence totale ! » (note de la rédaction : rien que dans le Tarn-et-Garonne, ce sont 58 millions € d’argent public qui ont été consacrés à financer  l’irrigation…)

Cyril Bernard, Président d’ASA : Pour notre association, la redevance est passée de 16.000 à 40.000 €. L’Agence de l’Eau nous a conseillés de passer en prélèvement bancaire individuel pour régler la facture. Nous avons refusé. Cela fait 10 ans que je cotise à Adour-Garonne, je n’ai jamais vu un centime revenir. Et ils se permettent de nous infliger 240% d’augmentation ! À un moment, il faut arrêter de discuter… Je suis prêt à aller jusqu’au bout ! »

Auteur de l’article : Sébastien Garcia