Journée historique pour la filière Chanvre

Publié le 23 septembre 2011

« Cette fois, je crois qu’on y est ! » Jean-Claude Labit, Vice-Président d’Euralis, résume en une phrase le sentiment de la centaine d’agriculteurs et techniciens venus le 15 septembre à Aucamville (82) pour assister à la démonstration du nouveau prototype de machine de récolte du chanvre.

Quand on y met les moyens…

Cela fait plusieurs années que Coopéval, tout d’abord, puis Euralis cherche le moyen de récolter efficacement le chènevis (graine) et pouvoir ainsi valoriser l’intégralité de la plante. L’enjeu est majeur puisque le chanvre manque de producteurs, actuellement plus intéressés par les prix du tournesol (voir TUP 1386). Or réussir à récolter la graine, c’est pouvoir augmenter le produit brut du chanvre de 400 €/ha. Il manquait juste la machine adéquate… « Il faut rendre hommage à José Lopez de Parc Agri », déclarait Daniel Salviac, Président de l’association de producteurs Chanvre de Garonne. « Pendant des années, il a essayé avec les moyens du bord, c’est-à-dire pas grand chose, de concevoir une machine capable de récupérer la graine. On a cru y arriver plusieurs fois mais les résultats étaient trop aléatoires pour être viables à terme. » Nicolas Cerruti, ingénieur à l’Institut Technique du Chanvre (ITC), faisait le même constat : « Coopéval était trop petit pour intéresser un constructeur et le pousser à se pencher sur le problème. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé. Il n’y a pas de miracle : quand on a pas ou peu de moyens, c’est difficile d’avancer avec la seule bonne volonté et la débrouillardise. »

Mais les choses ont changé du tout au tout en fin d’année dernière. Coopéval, qui avait rejoint Euralis, s’est associée avec la CAVAC Biomatériaux, filiale d’une coopérative agricole vendéenne, qui s’est lancée elle aussi dans les matériaux isolants ou techniques, à base de chanvre et de lin. Avec chacune une usine dédiée au chanvre, les 2 coopératives étaient dès lors beaucoup plus attractives. C’est John Deere qui a été le premier à réagir, avec une efficacité qui laisse songeur. Contacté par la CAVAC, le groupe Ouest Agri, concessionnaire John Deere en Vendée et Charente, a relevé le défi en décembre dernier. Avec l’aide des bureaux d’étude John Deere, un système était proposé début avril. Opérationnel depuis la mi-juillet, un prototype a été testé fin août par la CAVAC sur 25 hectares, pour affiner les réglages techniques. L’engin est désormais utilisé depuis mi-septembre, sur une cinquantaine d’hectares en Midi-Pyrénées et en Aquitaine chez les producteurs d’Euralis. Cette période de test permettra d’apporter les dernières améliorations afin d’obtenir un matériel pleinement performant pour la récolte 2012.

Simple mais il fallait y penser

Pour Jean-Marc Abline, Directeur Général d’Ouest Agri, les choses les plus simples sont celles qui marchent le mieux. « Il n’était pas question de réinventer la roue », explique-t-il. « On est repartis d’une page blanche, en regardant les faits objectivement. Récolter des tiges, on sait faire avec le maïs. Récolter des graines, on sait faire aussi avec les céréales. Il fallait donc réunir ces 2 systèmes sur une même machine. » Jean-Marc Abline est donc parti d’une moissonneuse-batteuse série W, l’a équipée d’une tête de récolte Kemper, d’une chambre de coupe traditionnelle d’ensileuse, avec un rotor à un seul couteau pour couper les tiges de chanvre en brins de 40 cm. Pour la graine, il a greffé au-dessus de l’ensemble une plate-forme de coupe série 600R de 4,85 m. Située un peu en avant du Kemper et dotée d’un entraînement hydraulique qui peut la faire passer de 1,50 à 3,50 m de hauteur, cette plateforme permet de récolter, nettoyer et acheminer les graines jusqu’à la trémie pour des chanvres allant jusqu’à 4,50 m. À l’intérieur, le conducteur voit sans trop de problème ce qui se passe devant. 2 caméras lui permettent quand même de garder un œil derrière le Kemper et à l’arrière de la machine. Il ajuste la hauteur de coupe en se basant sur la longueur des brins récoltés avec la tête de chanvre, qu’il voit passer devant lui.

Le chantier semble se passer le plus facilement du monde. « Le plus difficile a été de gérer les bourrages », poursuit Jean-Marc Abline. « En tout, il y a eu près de 70 modifications sur la machine de base et il y en aura encore certainement quelques autres après la récolte, en fonction des essais. En fait, dans le cahier des charges qu’ils nous ont fixé, Euralis et la Cavac ont voulu un système qui soit réversible, pour que les machines puissent être remises en configuration initiale pour les autres récoltes de l’année. C’est surtout là-dessus que se porteront nos prochains réglages. Pour le moment, notre système peut être monté ou démonté en une journée. Nous travaillons à concevoir un « kit chanvre » qui pourra s’installer facilement sur n’importe quelle moissonneuse de la marque. » Ouest Agri a même conçu un porte outil spécial pour le transport de la plateforme. Déplié, il permet de l’installer rapidement sur la moissonneuse. Replié en position route, il n’excède pas 3,40 mètres, ce qui permet un transport facile.

« Il y a encore quelques améliorations à faire », conclut Jean-Claude Labit. « Mais c’est un grand pas en avant qui a été franchi avec ce prototype. John Deere a déposé un brevet sur cet engin et il faudra bien évidemment discuter avec eux de sa fabrication en série et de sa distribution. Il faudra également convaincre les entrepreneurs d’investir dans un équipement de ce genre. Mais l’essentiel est d’avoir trouvé la solution technique à notre problème de récolte de la graine. Le reste, on s’en occupe et on mettra en place les accords qu’il faut. »

Quoiqu’il en soit, la filière Chanvre vivait, ce jour-là, un moment important de son histoire. Et ses plus belles pages ont bien l’air d’être droit devant elle.

Auteur de l’article : Sébastien Garcia