Chevaux : Selle qui rit, Trait qui pleure

Publié le 5 mai 2014

Début de printemps chargé pour la filière équine du Saint-Gaudinois. Pas moins de deux présentations d’étalons ont eu lieu en 2 semaines, fin mars dernier, la première au Haras de Durmas et la suivante, sous la halle des abattoirs de St Gaudens.

Le Haras de Durmas sur la 3e marche du podium national

Chaque année, en début de saison de monte, les haras, éleveurs et particuliers présentent leurs étalons aux professionnels de la filière, mais aussi au grand public, pour permettre aux propriétaires de chevaux de choisir le meilleur père pour leurs futurs poulains. Le Haras de Durmas, à St Gaudens, a fait très fort, cette année. Le samedi 15 mars dernier, il a présenté devant près de 300 personnes, ses propres étalons disponibles à la monte, accompagnés de ceux de plusieurs propriétaires locaux et surtout de l’ensemble des étalons de « The Stallion Company ». Ces animaux, appartenant à un anglais qui a repris la gestion du Centre Technique de Rodez, disposaient en effet d’un palmarès plutôt prestigieux. « Trois d’entre eux ont participé aux derniers Jeux Olympiques », se réjouissait Daniel Saint-Paul, organisateur de la journée et Président de l’association des éleveurs d’équidés du Comminges, qui a repris le Haras de Durmas. « En tout, nous avons présenté 7 étalons de notre station, 8 de Rodez et quelques autres de propriétaires particuliers. L’originalité de la journée était dans la diversité des races et destinations de chevaux. »

De fait, on pouvait admirer – et jauger – un Quarter Horse destiné à la monte western, un mini Américain, un Breton, un Comtois et deux Selle Français de haut vol, dont un Champion de France des étalons de 2 ans. Figuraient également deux anglo-arabes venant de Suède et de Pologne, afin de proposer aux éleveurs locaux des nouveaux courants de sang tout en respectant la race. « Certains de ces étalons arrivaient tout droit du salon des étalons de sport de Saint-Lô, en Normandie. Ce salon est le plus important de France en nombre d’étalons, suivi par celui de Chazay-sur-Ain. Si on compte en nombre et la qualité des étalons présentés, Saint-Gaudens a été, cette année, le 3ème salon de France et le seul dans le sud de la France. »

Les races locales n’étaient pas oubliées. On a ainsi vu défiler trois types d’ânes des Pyrénées : le Gascon, le Mulassier et le Catalan. Le mulassier présent à St Gaudens a notamment pour objectif de produire des Mules des Pyrénées, une espèce en voie de disparition. Si le Haras de Durmas dispose déjà d’un étalon Mérens, il espère accueillir prochainement un Castillon.

La grogne monte chez les éleveurs de traits

Ambiance différente, le samedi suivant 22 avril, à l’abattoir de St Gaudens. Cette fois-ci, c’étaient les éleveurs de chevaux de trait de Haute-Garonne qui venaient présenter leurs étalons. La matinée était organisée par Fernand « Pepe » Daraux, qui a repris la présidence de l’association départementale des éleveurs de trait. « En fait, les étalons qui défilent ce matin sont confiés aux éleveurs, sous forme de location, par l’IFCE* (ex Haras Nationaux) », explique-t-il. « Chaque année, des représentants de l’IFCE et de France Trait viennent donc contrôler l’état de ces étalons, leur façon de se déplacer et vérifier s’ils sont en bonne santé ou s’ils correspondent aux standards de race. » Pour Karine Carlier, assistante administrative au Haras de Tarbes et juge pour l’IFCE, ce type de journée est avant tout un moment d’échanges entre étalonniers et éleveurs, avant la saison de production. Mais à la vue du petit nombre d’étalons présents ce jour-là à St Gaudens (une douzaine), il semble que l’intérêt diminue fortement chez les éleveurs de Haute-Garonne. « Jusqu’à présent, la présentation d’un étalon débouchait sur un agrément doublé d’une prime, versée par le ministère de l’agriculture », explique Karine Carlier. « Mais cette prime n’était pas « eurocompatible », selon Bruxelles. Elle a donc été supprimée cette année. »

i la passion est toujours là, les éleveurs de trait en ont gros sur le cœur

Le problème est que, d’un côté, la filière essaye de se professionnaliser avec, entre autres, une Charte de l’étalonnier, ce qui engendre des contraintes supplémentaires. Or, quand dans le même temps, les différentes aides ou incitations sont progressivement supprimées, il n’est pas étonnant que le découragement gagne les éleveurs. « Non seulement, la viande de cheval ne se vend plus, mais on dirait que tout est fait pour nous dégoûter de l’élevage de chevaux de trait », tempête Cédric Labarre, agriculteur et éleveur de chevaux de trait à Arguenos. « Nous avions ainsi une MAE Race Menacée de 150 €/jument. Elle a été supprimée, il y a un ou 2 ans. Alors que l’équarrissage des bovins est compris dans une cotisation annuelle, l’enlèvement d’une jument peut dépasser les 400 € ! Mes chevaux ont pourtant un numéro de cheptel, comme tout animal d’élevage. Ils sont sur mon registre d’exploitation, sont déclarés à l’ICHN et rentrent dans mon chargement. La seule alternative reste l’assurance individuelle. Or les cotisations sont passées de 7 €/jument à 15 € ! Aujourd’hui, cela ne vaut plus le coup de les assurer. Pas avec un prix de vente de la viande à 1,30 €/kg pour un poulain ou 1 € pour une jument… »

Le ressentiment est le même chez tous les éleveurs présents ce jour-là. La plupart avoue que, si rien ne change, ils lèveront le pied sur les participations aux concours de race. « Ça nous coûte trop cher maintenant », ajoute Cédric Labarre. « En 1994, pour 6 juments et un étalon présentés en concours, j’ai perçu l’équivalent de 1.500 € d’aides. L’an dernier, pour le même nombre, j’ai eu droit à 109 €… On va continuer à participer, mais juste avec une bête, et pas trop loin. Ce sera pour le plaisir, parce qu’on est tous passionnés, mais plus pour en dégager un revenu. » Le risque, selon eux, n’est pas que la race disparaisse, mais qu’elle s’affaiblisse, faute de génétique renouvelée. Et que tout le travail réalisé depuis plusieurs décennies par ces éleveurs, pour sauver des races locales de l’oubli soit perdu…

* L’Institut Français du Cheval et de l’Équitation est un établissement public à caractère administratif, placé sous la double tutelle des ministères des Sports et de l’Agriculture.

Auteur de l’article : Sébastien Garcia