Foncier : Bras de fer à Bonrepos-Riquet

Publié le 7 septembre 2010

Florian Maronese n’en peut plus. Depuis plus de 2 ans, cet éleveur se bat pour obtenir la construction de sa maison d’habitation à Bonrepos-Riquet, où se trouve son exploitation. Mais les Architectes des Bâtiments de France (ABF) ne l’entendent pas de cette oreille… Récit d’un cas malheureusement trop courant.

Conforter l’exploitation en rapprochant l’habitation

À 45 ans, Florian sait ce que rebondir signifie. Cet éleveur de Veaux sous la Mère (VSLM) en label rouge a déjà connu 2 expropriations et a dû à chaque fois trouver le moyen de retrouver du foncier pour poursuivre son activité. Il exploite actuellement 30 ha sur Bonrepos-Riquet, dont 22 sont en fermage. Seules 2 parcelles sont en propriété. Pas de chance, la première, de 3,30 ha a été classée par la DRAC*, suite à des découvertes archéologiques lors des travaux de l’autoroute qui passe au pied de Bonrepos-Riquet. Quant à la seconde, 4,5 ha bordés d’un bois et d’un taillis, elle a été achetée en avril 2008, pour compenser une perte de foncier en urbanisation à Castelmaurou. C’est là que Florian veut faire construire la future maison familiale.

Habitant actuellement à Saint Jean l’Herm, à 5 km de l’élevage, la surveillance nécessaire en production de VSLM, surtout en label rouge, n’est pas chose aisée. Les 27 mères et leurs veaux sont en prairie 8 mois par an. Du coup, quand il part le matin, Florian doit penser à tout. Chaque oubli ou imprévu est une perte de temps et d’argent. Avec une habitation à proximité, depuis laquelle il aurait une vue directe sur ses prairies, la rapidité d’intervention et le confort de travail en seraient considérablement accrus. La vie de famille s’en trouverait également améliorée. Ses deux jeunes enfants sont, en effet, inscrits à l’école de Verfeil. Or, Saint Jean l’Herm dépend du canton voisin de Montastruc, qui n’a donc pas de ramassage scolaire pour Verfeil. Avec cette nouvelle maison, le bus passerait devant le nouveau domicile. Autant d’éléments qui plaident en faveur de cette solution logique, qui simplifie le travail et la vie du couple. Florian serait à proximité de son élevage (12 à 14h de présence par jour), tout en pouvant s’occuper de récupérer ses enfants matin et soir. Ce rôle revient actuellement à son épouse, travaillant à temps plein à Toulouse, l’obligeant de ce fait à jongler avec son emploi du temps. Enfin, la parcelle se trouvant à une trentaine de mètre d’une autre maison, la nouvelle construction n’entraînera pas de mitage du territoire. Du tout bon, donc, sauf que 6 mois après l’achat de la parcelle, patatras ! Récemment restauré, le château de Bonrepos-Riquet, situé en contrebas de la parcelle de Florian, est classée par les monuments historiques, avec les terres et le bois qui le jouxtent. C’est là que les ennuis commencent.

Les ABF : parfaitement intraitables…

Pour l’élaboration de son projet de maison, Florian fait appel à un architecte. Informé de la proximité du château, ce dernier demande une autorisation préalable aux Architectes des Bâtiments de France. En novembre 2008, le responsable du suivi technique aux ABF envoie un  avis favorable par mail à l’architecte, qui dépose donc le permis de construire une semaine plus tard. C’est alors que le dossier change de main au niveau des ABF. L’adjointe au chef de service rejette la demande, le 16 mars 2009. Avec un motif qui fait froid dans le dos : située dans le périmètre du site classé du château de Bonrepos-Riquet, la maison causerait « une atteinte grave au patrimoine ». Rien que ça. Une visite sur le terrain s’imposait. De fait, une fois sur la parcelle située en haut d’une colline, vous pouvez apercevoir le haut des tours du château, dépassant des arbres. Nul doute, dans ce cas, qu’un intrépide observateur accroché à une des flèches des tours ne se sente gravement offensé par la vue d’une maison à 900 mètres de là…
Abasourdis par ce revirement, les époux Maronese interviennent auprès du médiateur de la République. Ce dernier demandera aux ABF de revoir sa position, estimant les motifs du refus peu recevables. Peine perdue, la réponse sera un « non » catégorique.
Le couple ne compte pourtant pas en rester là. En janvier dernier, les époux Maronese déposent un 2ème permis de construire, intégrant les remarques des ABF. Ils proposent d’intégrer la maison dans les taillis qui bordent la parcelle, pour la dissimuler totalement à la vue du château, et de réduire la surface hors œuvre nette (SHON). La réponse ne se fera pas attendre. Un mois plus tard, nouveau refus, même motif… Florian Maronese tentera bien de plaider sa cause auprès de l’adjointe au chef de service. Elle lui opposera une fin de non-recevoir : l’autorisation préalable n’a aucune validité et il ne sert à rien d’insister, jamais le couple ne construira à cet endroit**. En désespoir de cause, Florian Maronese a érigé un paillet drapé d’une bâche noire sur sa parcelle qui résume ce que le couple subit depuis 24 mois. Refusant de laisser tomber, il étudie actuellement tous les recours restant. Une chose est sûre, il ira jusqu’au bout.

Patrimoine contre économie

Au-delà de ce cas particulier, se pose une nouvelle fois la question de l’intransigeance de certaines administrations. Préserver le patrimoine est un objectif louable. La beauté et la diversité de nos paysages et de notre architecture en sont la preuve évidente. Mais jusqu’à quel point peut-on aller pour les protéger ? Nombreux sont les cas de « tracasseries » imposées par les ABF, s’agissant de couleurs de façades, de dimensions d’huisseries et de matériaux de construction. Mais s’ils n’occasionnent souvent que des surcoûts pour les personnes concernées, le cas présent remet en cause la pérennité d’une exploitation. Ne pas pouvoir obtenir la construction de sa maison sur la seule parcelle dont il dispose à proximité causerait, pour Florian, l’arrêt anticipé de l’activité Veaux sous la Mère. Dommage pour cette production rentable dont la totalité est vendue localement, avec les emplois directs et indirects qu’elle induit.
Dans le contexte actuel de crise économique et des graves difficultés que connaît l’agriculture, tout devrait être fait pour préserver l’économie rurale. Surtout quand son impact pour le patrimoine est des plus insignifiants, comme dans le cas présent. N’en déplaise aux ABF, un terroir musée ne remplacera jamais un terroir vivant.

* Direction Régionale des Affaires Culturelles
** Contactée par la rédaction du journal, l’antenne départementale des Architectes des Bâtiments de France s’est dite prête à répondre à nos questions. Toutefois, les ABF sont tenus à un certain devoir de réserve. Toute déclaration de leur part doit être au préalable visée par la Préfecture. Une voie hiérarchique incompatible avec les délais de parution de cette édition. Nous devrions donc vous présenter leurs réponses dans un prochain numéro. À suivre…

Interview

C’est un exploitant très en colère que nous avons rencontré. Florian Maronese ne comprend pas le refus qui lui est fait de construire sa maison près de son élevage. Réactions à chaud.

« Je travaille depuis l’âge de 13 ans et je n’ai jamais regardé mes heures. La seule demande que j’ai faite aux Pouvoirs Publics en 30 ans m’est refusée et pour des motifs qui ne tiennent pas la route. Ce projet de maison a un impact direct sur la viabilité de mon exploitation que les ABF refusent de prendre en compte. Quand j’ai rencontré l’adjointe au chef de service, elle m’a clairement dit que le projet de construction ne s’inscrit en aucun cas dans un cadre agricole et que la proximité d’un éleveur de son lieu de travail n’a aucune justification. C’est au mieux de l’ignorance et au pire du mépris des métiers de l’élevage !
D’autant plus qu’entre temps, des maisons d’habitation – dont une avec piscine – ont été construites dans ce même périmètre, sans que les Bâtiments de France n’y trouvent à redire…
Dans ces conditions, c’est dur pour un couple de se projeter dans l’avenir. Je voyais dans cette habitation, un moyen de conforter ma structure et, pourquoi pas, de pouvoir transmettre à mes enfants un outil économique performant et optimisé. Au lieu de ça, je regarde depuis un an ma fille cadette dessiner des maisons toutes les semaines. J’accepte de prendre des coups mais je ne supporte pas que cela touche mon épouse et mes enfants !
Les ABF exercent leur pouvoir sans la moindre concertation, ni même volonté de discussion. Ce droit de veto s’apparente à de l’esclavage moderne, avec droit de vie ou de mort sur les personnes ou activités concernées. Avec la restauration de ce château, on a aussi réhabilité les pratiques du moyen-âge ! »

Auteur de l’article : Sébastien Garcia