L’avenir des biotechnologies passera par le dialogue

Publié le 12 mars 2017

C’est un euphémisme de dire que les biotechnologies végétales sont mal vues en France. Symbole du mal absolu pour ses opposants les plus farouches, source d’inquiétudes pour la plupart du grand public, ces biotechnologies – et notamment les plantes génétiquement modifiées (OGM) pour la plus connue d’entre elles – souffrent d’une sous-information générale sur le progrès scientifique et ses applications dans les domaines de la biologie végétale. C’est pour faire entendre une voix scientifique précisément que 70 professionnels des milieux agricoles, scientifiques, industriels et de la société civile ont décidé, en 2009, de créer l’Association Française des Biotechnologies Végétales (AFBV). Cette association loi 1901, composée de bénévoles, s’est donnée pour mission d’informer le plus objectivement possible sur les enjeux, les intérêts et les risques des biotechnologies vertes dans les domaines agronomiques, scientifiques, environnementaux et économiques. Et pour la première fois, elle organisait un colloque ouvert à tous sur ce vaste sujet, à Toulouse, le 21 février 2017.

Un outil parmi d’autres

C’est accueillis par Michel Roux, directeur de l’école d’ingénieurs de Purpan, que les 150 participants ont pris place dans l’amphithéâtre de l’établissement. Le Président de l’AFBV, Alain Deshayes, est revenu, en introduction, sur la genèse et les buts de l’association. « Nous nous sommes regroupés autour d’un sentiment commun de frustration », déclarait-il. « Depuis le début du boom des OGM, en 1996, il y a une opposition grandissante entre scientifiques qui les promeuvent et les écologistes qui les rejettent en bloc. Le problème est qu’il n’y a quasiment pas eu d’échanges entre les deux. » Pour lui, le monde scientifique a peut-être eu le tort de sous-estimer cette opposition à des technologies qu’il considère sans danger et n’a donc consacré assez de temps, ni de moyens pour les expliquer de façon pédagogique. Un défaut de communication qui a conduit à une situation de blocage qui paralyse aujourd’hui des pans entiers de la recherche, de l’agriculture et de l’agroalimentaire en France. « Notre objectif n’est pas d’imposer les biotechnologies à tout prix », insistait Alain Deshayes. « C’est de les faire reconnaître comme un outil parmi d’autres au service de l’agriculteur et, ne l’oublions pas, du consommateur. Il ne s’agit pas de nier les risques – il y en a comme pour toute technique – mais de ramener les débats sur des bases scientifiques et non plus émotionnelles. » L’association s’appuie pour cela sur son Comité scientifique, composé de 12 experts, qui vérifie et garantit la véracité de toutes les thèses et informations diffusées.

L’agroécologie par les biotechnologies

Jacques Beauville et Claude Ménara (micro) témoignaient de leurs expériences d'agriculteurs sur les biotechnologies.
Jacques Beauville et Claude Ménara (micro) témoignaient de leurs expériences d’agriculteurs sur les biotechnologies.

Dans un Sud-Ouest aux conditions idéales pour la production de semences, l’AFBV n’avait pas choisi par hasard le lieu de son colloque. Alain Toppan, spécialiste en génétique végétale chez Limagrain, est revenu sur les atouts agricoles de la région, puis sur la brève incursion des OGM sur son territoire, de 2005 à 2007. Midi-Pyrénées avait compté, avant l’interdiction du maïs MON810, 16.000 des 22.000 ha semés en France. « Les chiffres de l’époque faisaient apparaitre un gain moyen de 30€/ha pour les producteurs », rappelait-il. « Le surcoût des semences de 40 €/ha était compensé par une hausse des rendements de 70 €/ha. » Claude Ménara et Jacques Beauville, deux agriculteurs qui avaient semé ces maïs dès leur autorisation, sont également revenus sur cette période. Ils se sont présentés comme étant respectivement le premier et le dernier agriculteur « fauché » de France. Convaincus de l’intérêt des OGM, l’un comme l’autre s’étaient attelés de 2002 à 2004, à évaluer, avec des organismes comme l’AGPM ou Arvalis, ces technologies (dispersion pollinique, coexistence, innocuité pour la faune auxiliaire, phénomènes de résistance, bénéfices agronomiques, économiques, sanitaires et environnementaux).

Leur enthousiasme, confirmé par le succès des trois campagnes où le MON810 a été autorisé, sera de courte durée. Fauchages à répétition, embrasement médiatique et reculades politiques mettront un terme aux OGM en France en 2008. « On m’a mis onze fois au tribunal », soupirait Claude Ménara. « Onze fois j’ai gagné. Mais ce qui était une révolution pour notre agriculture nous a été interdit. Cette technologie est pourtant un moyen simple de travailler mieux avec moins de phytosanitaires, ce qui est pourtant le principe même de l’agroécologie prônée par ce Gouvernement… » Alain Toppan est aussi catégorique. Les biotechnologies sont une des réponses aux attentes des consommateurs en matière d’impact environnemental de l’agriculture et à celles des agriculteurs pour conserver leur productivité tout en évitant les impasses techniques. D’autant que d’autres technologies ont vu récemment le jour, qui pourraient changer de fond en comble le visage de l’agriculture.

Ne pas laisser passer le train

Chercheur en biologie, membre de l’Académie des Sciences et de l’Académie des technologies et professeur à l’université Paul Sabatier de Toulouse, Alain Boudet a présenté ce que le monde scientifique considère comme la rupture technologique la plus significative de ce siècle : l’édition du génome. Plusieurs techniques sont apparues ces dernières années dont la plus célèbre d’entre elles, dénommée CRISPR/Cas9, permet de désactiver un gène problématique d’un organisme ou, au contraire d’activer un gène présent mais qui ne s’exprime pas. Les champs d’application de cette technique, qui a en outre l’avantage d’être simple à mettre en œuvre, extrêmement précise, rapide et peu coûteuse, sont innombrables. Les chercheurs en biologie, santé humaine, médecine ou agriculture, se sont tous rués sur ce procédé révolutionnaire. Tous ou presque. Alain Boudet présentait dans un graphique le nombre de publications scientifiques, par pays, sur l’édition du génome appliquée à l’agriculture, en 2015. Loin devant caracolent les États-Unis, suivis par la Chine, le Japon et l’Allemagne, premier pays européen. La France se trouve en 15ème position, derrière des pays comme les Philippines, Singapour ou encore la République Tchèque… Les premiers résultats d’essai ont pourtant de quoi faire rêver : un blé résistant à l’oïdium, un concombre résistant à trois virus, l’extinction du gène responsable du nanisme de l’orge, un soja plus riche en acide oléique, un maïs résistant au stress hydrique, etc. Mais alors qu’on en est à peine à imaginer tout le potentiel de CRISPR/Cas9 et consort, des associations écologistes sont déjà en train d’exiger de Bruxelles de considérer ces techniques comme des OGM. Ce qu’elles ne sont pas puisqu’il n’y a pas d’introduction de gène étranger dans la plante. « Il faut absolument éviter les erreurs des OGM et être pédagogue », estime également le Professeur Boudet. « Nous devons échanger avec le grand public et savoir lui présenter de façon indiscutable ce que ces techniques vont apporter d’avancées significatives pour la santé et pour l’environnement. Mais de grâce, ne laissons pas passer ce train ! »

Dans son rapport Agriculture Innovation 2025, l’État français reconnaît pourtant l’importance de mener des travaux sur les biotechnologies végétales. On serait donc en droit d’espérer un soutien politique de la recherche et de ses applications. « La recherche, oui, mais pas plus », soupire Alain Toppan. « À aucun endroit de ce rapport ne figure le transfert de ces technologies des laboratoires aux entreprises. » Une lacune que la France pourrait payer cher. Patrick Vincourt, en charge de l’équipe Génétique et Génomique du tournesol à l’INRA Toulouse, rappelait dans une « histoire de la sélection » présentée ce jour-là, que le temps de réponse est le facteur clef dans la compétition pour l’innovation en génétique. Il semblerait qu’il en soit de même pour le temps politique, trop souvent à la traîne sur le temps scientifique…

Auteur de l’article : Sébastien Garcia