«On arrive au bout d’un système»

Publié le 13 décembre 2015

« Il y a vraiment quelque chose qui ne va pas », lâchait Jean-Pierre Fleury, Président de la Fédération National Bovine (FNB), ce 10 décembre 2015. À l’occasion de son tour de France des régions, le bureau de la FNB faisait étape, cet après-midi-là, chez Didier et Sylvain Codecco, éleveurs à Maureville.

Des éleveurs performants…

Durant la matinée, les responsables de la FNB avaient rencontré ceux de la FDSEA 31. L’occasion de faire le point sur les dossiers syndicaux nationaux et de prendre la température du terrain. La seconde partie de journée étaient consacrée à la traditionnelle visite d’un élevage représentatif du département. La FDSEA a voulu présenter à la FNB des exploitants réputés pour leur technicité. Une réputation non usurpée si l’on en croit les réactions de la délégation nationale à l’exposé des résultats techniques du GAEC des deux frères. Celui-ci produit essentiellement des veaux blonds d’Aquitaine élevés sous la Mère. Didier Codecco est par ailleurs Président de la coopérative du Veau Fermier du Lauragais, qui rassemble environ 90 éleveurs de trois départements. Productivité numérique des veaux à 102 %, 110 vêlages par an, IVV* de 370 jours, poids moyen des vaches de 580 kg, veaux inscrits au contrôle de performances, etc., les éleveurs connaissent indéniablement leur métier. « Tous nos animaux sont commercialisés localement », précise Didier Codecco. « Les veaux sous la Mère sont vendus jeunes et relativement légers, c’est à dire 4,5 mois et 150 kg/carcasse, entre 1.000 et 1.100 €. La grille des prix est négociée chaque mois, avec la coopérative. Mais les fluctuations sont faibles, 60 cts maximum. Nous avons même terminé l’année avec 20 cts de plus qu’au début. »

Mais la chanson n’est pas la même pour la vingtaine de jeunes bovins que le GAEC commercialise chaque année. Débutée à 4,10 €/kg en moyenne, l’année s’est terminée à 3,90 €/kg. « Nous en avons fait partir cinq, il y a 15 jours, et on ne sait pas encore quel prix nous aurons », poursuit l’éleveur. « Malgré cela, nous nous en sortons encore. Avec une ration à 2,20 €/jour, notre coût de production en jeune bovin est de 3,60 €/kg. »

… moins payés qu’un « plombier polonais »

C’est quand la délégation commence à se pencher sur les résultats économiques de l’exploitation que le ton change. Le GAEC réalise un chiffre d’affaires d’environ 250.000 €, primes comprises. Au vu des résultats techniques et de la maîtrise des coûts de production, on pourrait penser que le GAEC va bien. « Cela dépend si l’on considère le revenu comptable ou réel », ironise Didier Codecco, en réponse à Jean-Pierre Fleury qui lui demandait combien il gagne. « Aujourd’hui, le GAEC dégage 35.000 € de résultat, sur lesquels nous payons un peu plus de 20.000 € de charges MSA. Au final, mon frère et moi gagnons moins de 400 € chacun par mois, en revenu disponible. » Une réponse qui, même s’il s’y attendait, fait bondir le Président de la FNB. Il raconte ainsi que lors de l’étape précédente, en Saône et Loire, l’éleveur qui les recevait avait poussé ses calculs jusqu’à son salaire horaire. « Il arrivait à peine à 5 € de l’heure », se désole-t-il. « De quoi faire concurrence au fameux plombier polonais qui allait menacer notre économie, il y a 10 ans… Et on entend toujours des experts ou responsables dirent que le problème vient du manque de professionnalisme des éleveurs. On voit pourtant bien que même les meilleurs ne s’en sortent pas. Il est intolérable que des éleveurs performants comme ceux-ci ne puissent vivre décemment de leur métier. On arrive vraiment au bout d’un système… »

Remettre en valeur les races à viande

Sécheresse, chute des cours, hausse des coûts de production, poids de l’endettement, viande « cancérigène » et maintenant FCO …, l’année 2015 cumule les mauvais nouvelles. « 10.000 de nos 80.000 élevages vont déposer le bilan si la conjoncture ne change pas », prévient Jean-Pierre Fleury. « L’année blanche au niveau des annuités d’emprunt et l’allégement de la dette annoncés dans le plan de soutien du gouvernement, doivent être mis en application au plus vite, pour permettre aux éleveurs de passer le cap. » Mais au-delà de l’urgence, la FNB appelle à une revalorisation du prix payé aux producteurs. Pour cela, elle entend remettre en valeur les races à viande. « Il y a deux écoles », résume Pierre Vaugarny, Secrétaire Général FNB. « Celle, industrielle, pour qui la viande est un « minerai », juste du muscle, quelle que soit son origine ou sa qualité. Et il y a celle que nous défendons. Celle d’une offre segmentée, avec des cœurs de gamme et du premium. Un marché qui mette en avant la qualité des viandes et les territoires qui les produisent. Ce n’est pas par hasard que les rayons de boucheries traditionnelles reviennent dans les grandes surfaces. Il faut revoir les cahiers des charges et établir de nouvelles relations commerciales, avec un prix payé qui couvre les coûts de production liés à la qualité de la viande et au travail de l’éleveur. » Pour lui, une hausse de 0,50 € à l’éleveur n’aurait ainsi aucun impact sur les ventes en rayon. Tandis que pour le producteur…

« Avec environ 40 tonnes de viande vendues entre les veaux sous la mère, les jeunes bovins et mes vaches, 50 centimes de plus représente 20.000 € par an pour le GAEC, soit 800 € mensuels de plus par actif », calcule rapidement Didier Codecco. « La pérennité d’une exploitation tient dans ce petit delta des prix. On ne demande donc pas grand-chose, mais c’est malheureusement la preuve d’un rapport de force qui n’est pas à notre avantage… »

 

* Intervalle Vêlage/Vêlage

Auteur de l’article : Sébastien Garcia