Le futur est tributaire du foncier agricole

Publié le 24 octobre 2017

Le foncier est bien entendu au cœur des préoccupations du Syndicat Départemental de la Propriété Privée Rurale (SDPR). Mais lors de son Assemblée Générale annuelle, au début du mois à Lanta, son Président François De Crouzet, a rappelé que la problématique du foncier est bel et bien au cœur de l’actualité. Avec une démographie mondiale qui frise les 7 milliards d’individus et qui atteindra, selon l’ONU, les 9 milliards en 2050, la question de savoir comment nourrir cette population devient particulièrement prégnante. Depuis cette annonce, la situation du foncier agricole se trouve sous les projecteurs. Ariane Selinger, de la Fédération Nationale de la Propriété Privée Rurale, proposait donc aux adhérents de la SDPR 31, de faire un point sur les perspectives d’évolution à 30 ans. Et le constat n’est pas forcément des plus rassurants…

Prise de conscience, sauf en France…

On ne compte plus les conférences, colloques et autres rapports qui se sont multipliés ces derniers mois sur le thème de la sécurité alimentaire. Et pour cause : après la première alerte des émeutes de la faim en 2008, la FAO a annoncé en début d’année qu’il faudra doubler la production agricole d’ici 2050. De quoi faire prendre conscience au monde entier de l’urgence de la situation. Pourtant, Ariane Selinger regrettait, dans son intervention, que les solutions proposées pour anticiper cette explosion des besoins alimentaires ne concernent que la technique agricole et le comportement des consommateurs. « Les spécialistes de l’INRA, de la FAO et autres estiment que les superficies cultivables sont suffisantes pour nourrir ces 9 milliards de personnes, à condition d’augmenter les rendements, via les progrès scientifiques, de réduire les gaspillages et d’établir une solidarité internationale », expose-t-elle. « Mais il n’y a pas eu de propositions ni de réactions de leur part, sur l’accès au foncier. Pourtant, il suffit de voir avec quel empressement certains pays comme la Chine, le Qatar ou le Japon achètent des terres en Amérique du Sud ou en Afrique. Les fonds d’investissement s’y sont mis aussi, la terre étant une valeur refuge. Certains s’intéressent même à la France, le foncier y étant encore bon marché ! » Paradoxalement, si beaucoup de pays ont pris conscience de l’importance stratégique des terres cultivables, la France semble atteinte de boulimie de foncier. « Et la tendance est à l’accélération », déplore Ariane Selinger. « Quand la population française augmente de 5%, les surfaces construites prennent +20% et les infrastructures routières et zones d’activité + 11%. » Nous sommes au dernier rang européen en termes de consommation de foncier par habitant. Entre 2006 et 2010, ce sont 82.000 ha de SAU qui ont disparu chaque année, contre 34.300 pour l’Allemagne. Depuis peu, l’État semble avoir réalisé l’étendue de l’hémorragie de foncier et tente de l’enrayer. Le Gouvernement s’est fixé pour objectif d’en réduire la consommation de moitié d’ici 2020, au travers de 3 dispositifs. La création d’un observatoire national de la consommation des espaces agricoles, la mise en place dans les départements d’une commission de la consommation des terres agricoles (voir notre article ici) et l’instauration d’une taxe sur la vente de terrains nus devenus constructibles. « Mauvaise réponse », estime Ariane Selinger. « Ce n’est pas en créant des taxes et des commissions qu’on y arrivera. »

Donner aux propriétaires des raisons de ne pas vendre

Pour la FNPR, il faudrait plutôt que la gestion du foncier à la française arrête de pousser les propriétaires à vendre leurs terres, et les incite à les laisser en production agricole. Ariane Selinger donnait ainsi 4 raisons majeures de vendre. Tout d’abord, une très grande pression des collectivités locales. « Certaines sont prêtes à tout pour récupérer des terres pour leur projets urbains », exposait-elle. « On a vu l’exemple de la commune d’Autun (Saône-et-Loire) qui, en octobre 2010, a augmenté les impôts fonciers de 3.480% pour forcer les propriétaires à céder leurs terrains ! » Ensuite, le prix du foncier agricole est toujours trop faible, un des plus bas d’Europe. « En France, l’ha se vend en moyenne 5.230 €. Aux Pays-Bas, par exemple, c’est 35.000 € », poursuit Ariane Selinger. « C’est un extrême, bien sûr, mais il faudrait trouver un juste milieu. » Dans le même ordre d’idée, la FNPR déplore la faible rentabilité des terres agricoles : « Les études que nous avons menées montrent que la terre est un investissement très peu rentable, de l’ordre de 3% dans le meilleur des cas. Les loyers en Haute-Garonne oscillent entre 15 et 152 €/ha. Quand on voit qu’un éolienne dans une parcelle peut rapporter 3.000 €/an, il ne faut pas s’étonner que les bailleurs soient tentés de louer pour des usages non agricoles. » 4ème raison, et non des moindres pour les propriétaires : une réglementation beaucoup trop pénalisante pour eux. « Un bailleur doit passer entre les fourches caudines du statut du fermage, du contrôle des structures et de la SAFER, pour louer à un exploitant », râle Ariane Selinger. « Et s’il veut vendre, il ne peut choisir ni son acheteur, ni son prix. Beaucoup cèdent au découragement et préfèrent du coup vendre ou boiser leurs terres. Dans ce dernier cas, ils échappent à ces contraintes. »

Mesures radicales

Comment faire pour que le propriétaire ne soit pas tenté de vendre au plus offrant ? Les propositions de la FNPR tiennent en 2 axes : revaloriser l’usage du foncier agricole et sa rentabilité, d’une part, et de l’autre, faire évoluer les règles qui encadrent le marché des terres agricoles et assouplir le cadre juridique et administratif du fermage. Pour y parvenir, Ariane Selinger n’y va pas par 4 chemins : « Il faut limiter la pression fiscale sur les propriétaires. L’idéal serait l’abandon pur et simple de la Taxe sur le Foncier Non Bâti, mais il sera difficile de le faire accepter aux communes, pour qui cela représente une rentrée budgétaire non négligeable. Il faudrait au moins réussir à reconnecter la TFNB avec les réalités, comme la FNPR avait réussi à le faire l’an dernier, dans le Tarn-et-Garonne sur les terrains en vergers et vignes. Pour le statut public du fermage, l’Italie et la Grande Bretagne l’ont bien supprimé, pour favoriser des partenariats plus équitables et durables. Ce que l’on demande pour la France ne va pas jusque là. Il suffirait simplement d’ajouter une phrase à la fin du texte régissant les statuts, précisant que les parties sont libres d’adapter les présentes dispositions. De façon à laisser une marge de manœuvre aux propriétaires. » Quant aux SAFER, la FNPR réclame leur suppression ou, du moins, celle de leur prérogative de révision du prix de vente. Même sanction pour le contrôle des structures que la Fédération des propriétaires voudrait voir disparaître. « Le foncier retrouverait un prix conforme au marché et une rentabilité incitative pour les propriétaires », argumente Ariane Selinger. « Les relations se feraient sur des bases plus saines entre bailleurs et preneurs. Et ces derniers seraient motivés à davantage de productivité. Tout le monde y serait gagnant et c’est à ce prix que l’on pourra relever demain les défis de l’alimentation. »

Un exposé qui ne pouvait que faire réagir la salle. Si Yvon Parayre, le Président de la Chambre d’Agriculture 31, approuvait le constat et rappelait l’importance de préserver le potentiel de production agricole du département, notamment au regard de l’urbanisation galopante. Il a tenu à préciser que les indices du fermage étaient désormais indexés sur des indicateurs comme le RBEA et le PIB*, et donc plus en adéquation avec le marché. « Avant de vouloir jeter les organismes à la poubelle, précisons que ce sont les hommes qui font les lois, pas les structures », poursuivait-il. « La profession est consciente qu’il faut des ajustements. Elle y travaille depuis quelques années, comme en témoignent les évolutions sur le contrôle des structures. Enfin d’autres pistes sont à creuser, comme l’amortissement du capital foncier lors d’un achat qui améliorerait la trésorerie des nouveaux acheteurs. »

Cet après-midi riche en débats s’est terminé par un exposé sur les modifications de l’ISF et un apéritif où les participants n’ont, bien évidemment, pas manqué de poursuivre les échanges.

*L’indice du fermage n’est plus arrêté par les départements. Il est national et composé pour 60% de l’évolution du Revenu Brut d’Entreprise Agricole/ha, constaté sur le plan national au cours des cinq années précédentes, et pour 40 % de l’évolution du niveau général des prix de l’année précédente (indice prix du Produit Intérieur Brut).

Auteur de l’article : Sébastien Garcia