La Haute-Garonne boit la tasse en 2013

Publié le 5 janvier 2015

L’EBE moyen des exploitations adhérentes au CERFRANCE Haute-Garonne a été divisé par deux entre 2012 et 2013… Si on savait que l’année avait été mauvaise, Marie-Annick Merelle, chargée d’études CERFRANCE 31, a mis des chiffres en face du ressenti général. La présentation annuelle des résultats économiques 2013-2014 de la ferme Haute-Garonne, qui se déroulait le 15 décembre dernier à Muret, éclairait ainsi une situation dégradée de l’agriculture départementale qui ne devrait, hélas, pas s’améliorer en 2015.

Productions en baisse, charges en hausse

Alors que le produit des ventes des exploitations a diminué de 27.000 € en moyenne dans le département, passant de 205.000 à 178.000 €, les charges opérationnelles et de structure ont chacune augmenté de 3.000 €. Avec des aides PAC en léger recul, l’EBE des exploitations haut-garonnaises passe ainsi de 65.000 à 31.000 €. « Cette baisse de revenus 2013 et 2014 résulte de la conjugaison d’un ensemble de facteurs », résume Marie-Annick Merelle. De fait, les conditions climatiques (pluies excédentaires et faible ensoleillement en 2013, puis douceur exceptionnelle et humidité importante en 2014) ont occasionné une pression sanitaire importante. Si les rendements en grandes cultures étaient en général corrects, les problèmes sont surtout venus de la qualité des céréales. Parallèlement, le coût toujours relativement élevé des intrants (engrais, carburant…), associé à la baisse généralisée des cours des céréales et oléagineux, a accentué l’érosion du revenu. Enfin, la hausse des cotisations MSA, calculées sur les exercices 2010 à 2012, a achevé de plomber les comptes avec, selon les filières, des hausses pouvant aller jusqu’à 4 ou 5.000 €.

Grosse chute pour les céréaliers

63.400 € d’EBE par exploitation céréalière en 2012. 16.620 €, en 2013… Pour cet exercice, seules 30% des exploitations en céréales dégageaient un EBE supérieur à 25.000 €. Les plus impactés par la baisse des revenus sont les céréaliers irrigants, qui ne devraient pas voir d’amélioration pour l’exercice 2014. « Alors que l’EBE par UTAF* est passé de 39.800 € en moyenne, ces 4 dernières années, à 13.300 € en 2013, les prévisions l’évaluent entre 10 et 20.000 € pour 2014 », précise Marie-Annick Merelle. « C’est surtout l’effet Cours des céréales qui pèse le plus. Ainsi, la production mondiale record de maïs et de blé, pour la 2ème année consécutive, et l’augmentation des surfaces de soja qui a entraîné toutes les productions oléoprotéagineuses dans un cours baissier, annoncent une année 2014 très difficile. Le prix « départ exploitation » du maïs pour novembre 2014 de 132€/T ne couvre ainsi pas les coûts de revient. Par contre, les céréaliers en sec devraient bénéficier de l’embellie durable du blé dur. Alors qu’ils ont eux aussi chuté de 32.700 €/UTAF à 14.500 € en 2013, nos prévisions se situent entre 20 et 30.000 € pour 2014. » Le CERFRANCE 31 estime enfin que si l’excédent de trésorerie de 2012 avait pu compenser une partie des pertes 2013, les exploitations céréalières n’ont plus de marge de sécurité. Elles doivent donc prélever dans leur épargne à long terme ou recourir à l’emprunt pour engager la nouvelle récolte.

Les seuls à tirer leur épingle du jeu sont les producteurs de maïs semence. Après une chute d’environ 7.000 € de l’EBE/UTAF par rapport à la moyenne des 4 dernières années, 2014 devrait voir un quasi retour à la normale, avec une prévision située entre 55 et 65.000 € selon les zones.

Élevage : c’est moins pire…

Si les exploitations laitières voient une chute de l’EBE/UTAF de 3.000 € en Haute-Garonne, la baisse du coût des aliments, la progression du prix du lait en fin d’année 2014 et la bonne conjoncture sur le prix de la viande permettent d’espérer une année 2014 entre 35 et 40.000 €. Un bon résultat qu’il convient de tempérer, selon le CERFRANCE. « Le résultat des exploitations en polyculture élevage est handicapé par la chute des cours de céréales », poursuit Marie-Annick Merelle. « Ensuite, la collecte diminue dans le bassin sud, alors qu’elle augmente partout ailleurs. Enfin, l’embargo russe, le ralentissement de la demande chinoise et la production importante en Europe laissent planer de grandes inquiétudes sur le prix du lait. Sodiaal estime qu’on pourrait voir un prix payé au producteur chuter de 20% en 2015. »

C’est encore l’élevage allaitant qui s’en sort le moins mal, avec tout de même une situation fragile. Selon les chiffres du CERFRANCE 31, la baisse du coût des aliments et des prélèvements privés plus faibles que dans les autres filières permettent de conserver l’équilibre des trésoreries. Avec 30 à 35.000 € d’EBE/UTAF prévus, contre 26.400 € ces dernières années et 30.000 € en 2013, l’exercice 2014 devrait se situer à un niveau relativement stable. Toutefois, avec un marché du broutard très fluctuant, la concurrence des viandes polonaises et allemandes et une consommation des ménages toujours en baisse, la conjoncture 2015 n’est pas des plus favorables. Les broutards repoussés et la viande haut de gamme devraient pouvoir mieux tirer leur épingle du jeu.

Pas beaucoup mieux dans les autres filières

En viticulture, les chais particuliers s’en sortent mieux que les coopératives. Les conditions climatiques de 2013 (orages, grêle, maladies…) ont entraîné d’importantes pertes de récolte (environ -35%). Mais quand les coopérateurs voient leur EBE moyen passer de 45.700 à 23.200 €, les chais ont, eux, réussi à maintenir, voire légèrement augmenter le leur, à presque 53.000 €. Quant à 2014, la forte pression sanitaire due à l’été pluvieux est contrebalancée par une bonne récolte. Dans le même temps, la demande reste soutenue et les stocks sont au plus bas. Il n’est donc pas interdit d’espérer une bonne année 2015.

C’est beaucoup moins rose du côté du maraîchage. Les 10 exploitations spécialisées que compte la Haute-Garonne affichent des résultats catastrophiques, avec 44% de baisse de leur EBE. « C’est le résultat de la météo de 2013 », explique Marie-Annick Merelle. « La pluviométrie a eu des conséquence sur la production, qui accuse une forte baisse. Étant donné la climatologie de l’été dernier, il y a de forts risques de voir 2014 suivre le même chemin et que le résultat courant de ces exploitations soit proche de zéro. De fait, les marchés d’été ont été désertés par les consommateurs qui sont restés chez eux, à l’abri de la pluie. » À noter que les producteurs d’ail attendent beaucoup de l’AOC Ail Violet de Cadours, qui devrait être accordé en 2015. Ils espèrent que cette reconnaissance permettra de se démarquer de la concurrence de l’ail espagnol, très vive sur ce marché.

De court à long terme, comment réagir ?

De toute évidence, 2015 sera délicate. Autant donc prévoir dès aujourd’hui d’anticiper les difficultés financières et, autant que possible, se constituer une réserve de trésorerie dès que l’opportunité se présente. La réforme de la PAC s’annonce également très problématique. Compliquée, avec des enveloppes en baisse et un « verdissement » entraînant une réglementation obscure, il faut se préoccuper dès aujourd’hui d’en mesurer l’impact financier sur son exploitation. C’est pourquoi le CERFRANCE et la Chambre d’Agriculture de Haute-Garonne mettent en place des réunions locales d’information. On ne peut que grandement vous recommander d’y assister pour ne pas se trouver pris au dépourvu lors de votre déclaration PAC. À court et moyen terme, on n’insistera jamais assez sur l’importance de bien calculer ses prix de revient. Indispensable pour pouvoir vendre au bon moment et sécuriser son revenu, connaître ses coûts de revient vous donnera aussi des pistes pour faire évoluer vos pratiques, voire explorer des pistes d’innovation ou de production. « On a vu que la piste maïs semence que nous conseillions en 2013 a payé », relevait Jean-Charles Torne-Cols, Directeur Conseil chez CERFRANCE 31. « Il ne faut pas hésiter à se remettre en cause, à aller chercher l’information auprès des conseillers et mettre en place des projets d’avenir, en fonction des opportunités. Pour 2015, par exemple, il y aura immanquablement la carte Blé Dur à jouer. » S’agrandir, changer la structure juridique de son exploitation, se diversifier, rechercher la valeur ajoutée, …, les pistes ne manquent pas et méritent chacune d’être étudiée avec attention. Jean-Charles Torne-Cols insistait ainsi sur l’importance de prendre du recul. « Faites un audit de votre exploitation », répétait-il. « On sait qu’il y a de gros écarts de performances entre des exploitations de même type. Il y a certainement des gains à réaliser chez vous. Encore faut-il aller les chercher… »

 

* Excédent Brut d’Exploitation par Unité de Travail Annuel Familial

 

Provoc’ et optimisme : un économiste secoue le cocotier agricole

Jean-Marie Séronie, économiste agricole et directeur du CERFRANCE de la Manche, est intervenu pendant une heure sur le thème « Décrypter pour décider ».

Selon lui, la situation actuelle n’est pas surprenante. La loi de l’offre et de la demande joue à plein. La production est supérieure à la consommation, les prix baissent. Point. Les autres paramètres (carburant, coût des intrants, spéculation, etc.) n’ont que peu d’influence. « Donc, nous connaîtrons à nouveau du blé à 220 € voire plus, ou du lait à 400 € », déclarait-il. « Mais pas durablement. Et ces pics et ces creux ne doivent pas masquer la tendance de fond : même si les variations de prix sont fortes, nous sommes globalement, depuis 10 ans, sur des niveaux de prix durablement élevés. Les statistiques le montrent, plus les prix sont élevés, plus les variations sont importantes. Il nous faut accepter cet état de fait et agir en conséquence. Le problème en France, c’est qu’on commence à s’adapter quand on est au pied du mur. La fin des quotas laitiers, on l’annonce depuis 10 ans. La directive Nitrates, ça fait 20 ans qu’on en parle… »

Pour lui, la seule augmentation de la population est une assurance que l’agriculture a de beaux jours devant elle et les conditions n’ont jamais été aussi favorables. À condition d’aller saisir les marchés, intérieurs et extérieurs, qui s’ouvrent et de savoir s’adapter. Cela passe, pour lui, par une capacité accrue à travailler à plusieurs et par une meilleure « agilité » de son exploitation, de façon à répondre très rapidement à toute évolution de son environnement. Ces positions volontairement provocatrices ont provoqué des débats et échanges très fournis et instructifs.

Pour information, Jean-Marie Séronie a publié en septembre dernier, un ouvrage intitulé « L’agriculture française : une diva à réveiller ? » Disponible aux Éditions Quae, vous y trouverez l’essentiel de cette intervention avec, en prime, un point de vue original et optimiste qui tranche avec la morosité des discours actuels.

Auteur de l’article : Sébastien Garcia

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