Chanvre : avis de décollage

Publié le 7 février 2011

Affluence inhabituelle des médias grand public lors de la dernière Assemblée Générale d’Euralis Coopéval, le 2 février dernier à Carbonne. Le thème de la matinée y était pour beaucoup. Si le monde agricole suit depuis longtemps les avancées du dossier Chanvre porté par la coopérative, la présentation de la brique monomur en chanvre tenait du scoop pour la majorité des journalistes présents. Il faut dire que le sujet est des plus porteurs et que les qualités et le potentiel de cette innovation ont de quoi susciter le plus vif intérêt. C’est pour pouvoir répondre précisément à tous les types de questions qu’Euralis Coopéval avait convié à la tribune l’ensemble des acteurs de ce projet, baptisé Sativa Muris (mur de chanvre). Revue de détails.

Agrofibre/SEAC : un duo de choc

Pour rappel, la coopérative, sa filiale Agrofibre et la société SEAC Guiraud de Toulouse ont développé un bloc de construction composé d’un granulat de chanvre (chènevotte) et d’un éco-liant à base de chaux et d’adjuvants d’origine végétale*. « Sain, très performant en terme d’isolation, durable, léger, facile à monter, abordable, … » ce ne sont pas les qualificatifs qui manquaient aux participants de cette aventure quand ils ont présenté leur produit. Invité de choix de cette AG, Laurent Guiraud, directeur général de SEAC Guiraud, s’exprimait pour la 1ère fois devant les adhérents d’Euralis Coopéval. « Avec l’usine de défibrage de chanvre de Cazère, nous avons créé un outil unique au monde », rappelait Éric Gazagnes, directeur développement d’Agrofibre. « Restait à convaincre un industriel de se lancer dans l’aventure à nos côtés et, en cela, on a eu la chance de croiser Jacques et Laurent Guiraud. » Entreprise nationale spécialisée dans la fabrication de planchers en béton, la SEAC a immédiatement adhéré au projet Sativa Muris, qui rejoint sa philosophie en matière de préservation de l’environnement. Par exemple, la SEAC a investi dans la construction d’une usine de métakaolin, un liant qui remplace jusqu’à 25% le ciment nécessaire à la fabrication d’un béton et divise par 4 les émissions de Co2. « Nous avons développé un système de plancher léger (200 kg/m² à comparer aux 500 kg/m² de la dalle pleine) aux qualités thermiques et acoustiques exceptionnelles, à partir de ce béton allégé », explique Laurent Guiraud. « L’association de la brique chanvre et de notre plancher thermo-acoustique nous ouvre des perspectives phénoménales en terme de construction basse consommation. Elle supprime en effet une grande partie des ponts thermiques et permet d’avoir un bâtiment parfaitement isolé, avec un minimum d’intervention. Les deux sont légers, donc économiques en coûts de transport. La brique de chanvre ne nécessite pas de compétence particulière pour le montage des murs. Bref, il n’y a que des avantages. » Si le coût unitaire de la brique de chanvre est supérieur à celui d’un parpaing classique, les économies se retrouvent plus loin, sur les frais d’isolation. Un mur en blocs de chanvre peut, en effet, se suffire à lui-même, en la matière, même si Laurent Guiraud préconise une isolation intérieure supplémentaire pour un résultat maximum.

Ça travaille en coulisses

Mais la technique ne fait pas tout. Sylvestre Bertucelli, directeur d’Interchanvre, est revenu sur le travail de « lobbyisme » mené par l’interprofession au plus haut niveau. « Ce terme n’est pas du tout péjoratif pour moi », précisait-il. « Il s’agit d’expliquer simplement aux décisionnaires politiques ce que représente le chanvre. Quelles sont ses limites, ses atouts ou encore ce qui le différencie des autres matériaux de construction. Et surtout, en quoi il serait bon de faire évoluer les réglementations pour les mettre en adéquation avec les potentialités de ce produit et les aspirations de la société. En cela, les conclusions du Grenelle nous ont fournis des arguments de poids. » La filière semble avoir trouvé là un bon ambassadeur puisque le gouvernement a écrit au CSTB* pour témoigner de l’intérêt tout particulier qu’il porte au projet Sativa Muris et de l’importance d’aller vite sur ce dossier.

Autre sujet d’importance pour lequel se battent Jean-Claude Labit, Président d’Euralis Coopéval, et Daniel Salviac, Président de l’association de producteurs Chanvre de Garonne : l’obtention d’une MAE (Mesure Agro-Environnementale) spécifique chanvre. La question n’a pas manqué d’être soulevée lors de l’AG : comment garder la culture du chanvre attractive dans un contexte de prix des céréales élevé ? Outre une optimisation de la récolte (voir encadré), la solution passera peut-être par un coup de pouce de l’État. « Nous travaillons avec la DRAAF et l’Agence de l’eau pour une MAE propre aux régions Midi-Pyrénées et Aquitaine », confiait Jean-Claude Labit. « Si nous y parvenons, ce sera un signal fort du soutien de la France sur ce projet et un argument de poids pour promouvoir la culture de chanvre dans notre région. »

Même si la première maison « témoin » bâtie en bloc de chanvre devrait voir le jour à la fin de l’année, on voit que le travail est loin d’être terminé et qu’il se poursuit à tous les niveaux. Mais au vu de ce qui a déjà été accompli et – pour reprendre l’expression employée par Patrice Roché, directeur d’AgriMip – de « l’intelligence collective exceptionnelle » mise en œuvre dans ce projet, il n’y a pas trop d’inquiétude à avoir.

 
* lire nos précédents articles dans le TUP 1334 de mars 2009 et 1359 de mai 2010
** Le Centre Scientifique et Technique du Bâtiment est un établissement public, placé sous la tutelle du ministre du Logement et du ministre de l’Écologie. Il procède, entre autres, aux essais et certification sur les matériaux (évaluation qualitative de produits et procédés innovants ; évaluation des risques ; tests acoustiques, thermiques, mécaniques…).
 

Interview de Daniel Salviac, Président de Chanvre de Garonne

Chanvre cherche producteurs fidèles…

Si la récolte du chanvre est désormais bien maîtrisée en ce qui concerne la fibre, le problème de récupération de la graine continue à grever la rentabilité de la culture (voir TUP de février 2010). « Malgré tous les efforts et l’ingéniosité de José Lopez, de la société Parc Agri à Canals (82), on est arrivé au bout de ce qu’on peut faire

 avec les ensileuses modifiées qu’il a conçues », reconnaît Daniel Salviac, Président de l’association de producteurs Chanvre de Garonne. « On cherche dans d’autres directions, sur des machines dérivées cette fois de moissonneuses, et on a des pistes. Tout d’abord avec le groupe Bourgoin qui travaille avec Geringhoff, fabricant spécialisé dans les têtes de récolte (maïs). On doit se voir au Salon de l’agriculture de Paris pour en parler. John Deere est également intéressé et se dit prêt à tester un prototype dès cette année. On finira bien par trouver ! » Chanvre de Garonne tenait son AG, 3 jours après celle d’Euralis. L’occasion de faire un point sur la campagne qui vient de s’achever. « Les rendements ont beaucoup progressé, avec  6 T/ha, en moyenne, contre 3 l’an dernier », se félicite Daniel Salviac. « Cela vient pour beaucoup de la météo beaucoup plus clémente mais aussi d’une meilleure technicité des producteurs. » Si Chanvre de Garonne table toujours sur 1.500 ha emblavés pour la campagne 2011, l’association avoue avoir du mal à garder l’ensemble de ses producteurs. « La faute à un prix du tournesol élevé », reconnaît Daniel Salviac. « Les agriculteurs se tournent vers des cultures plus rémunératrices et ne se remettent au chanvre que quand le marché des céréales rechute. L’an dernier, on devait refuser des producteurs… » Ce qui a le don d’agacer Christian Peès, Président du groupe Euralis : « Le chanvre, c’est un engagement ! On n’en est qu’au début et les producteurs doivent faire preuve d’esprit collectif. N’oublions pas qu’il y a des gros clients au bout de la filière et que nous nous devons d’assurer l’approvisionnement. Si chacun va et vient au gré des fluctuations du marché, on n’y arrivera jamais. Faisons preuve de maturité, on sait tous qu’il faut labourer avant de récolter… »

Interview de Jean-Claude Labit, Président d’Euralis Coopéval

Réduire les coûts, pas les services

Jean-Claude Labit peut être satisfait : la boîte à outils de mise en marché de céréales de la coopérative connaît un vrai succès. « Cette possibilité de choisir entre différents types de commercialisation (à terme, avec option, prix moyen de campagne) permet de maîtriser et sécuriser ses ventes », souligne-t-il. « Dans ce contexte de marchés en dents de scie, c’est un atout indéniable pour l’agriculteur. À condition qu’il connaisse bien son exploitation et ses coûts de production. » À propos de la flambée des céréales, s’il ne peut que s’en réjouir pour les céréaliers, Jean-Claude Labit n’ignore pas les difficultés que cela peut engendrer pour d’autres productions, y compris le chanvre : « Pour le chanvre, le groupe Euralis donne 150 €/ha pour soutenir la production. Pour les éleveurs de canards, on a acheté de quoi se couvrir en maïs pour la campagne 2010, quand les prix étaient encore bas. Mais que les prix des céréales soient faibles ou élevés, ce que peut faire une coopérative seule pour soulagé ceux qui sont lésés est très limité. Seule une régulation internationale peut résoudre la situation. C’est ce que préconise Momagri et qui commence à être entendu de nos politiques. Après avoir cassé tous nos outils de régulation, ils commencent enfin à comprendre qu’on va vers une grave crise alimentaire s’ils ne réagissent pas. » Jean-Claude Labit s’inquiète également de l’augmentation des charges de production. « Le prix des engrais a explosé, sans réel rapport avec la conjoncture », lâche-t-il. « À croire que les fabricants d’engrais ajustent leurs tarifs en fonction, non des coûts de production, mais du seuil d’acceptabilité du marché… Et avec les crises en Tunisie et en Égypte, d’où vient la majorité des phosphates, on va avoir de gros problèmes d’approvisionnement. Les choses ne risquent pas de s’arranger… » Pour limiter les coûts pour les adhérents, le groupe Euralis a notamment adopté une politique de vente des produits d’appro quasiment à prix coutant. Côté économies, la coopérative poursuit son plan d’optimisation de la logistique et de réduction des coûts de transport des céréales. Euralis Coopéval compte enfin mettre en place, sur la période 2011-2020, des « Contrats de progrès » avec ses adhérents. « Il s’agit d’aborder tous les aspects de leur exploitation agricole, au delà de notre travail de collecte et d’appro », explique Jean-Claude Labit. « Les adhérents auront un technicien référent qui les aidera à avoir une approche globale de leur entreprise et les mettront en rapport avec les compétences qui existent dans leur entourage. Au sein des organismes agricoles (Chambre d’Agriculture, CER France, assureurs, banques…), il y a de nombreux spécialistes que l’agriculteur ne connaît pas forcément et dont les conseils lui seraient pourtant précieux. Les ressources existent. À nous de les utiliser au mieux. »

Auteur de l’article : Sébastien Garcia