Nourrir 9 milliards d’habitants demain

Publié le 8 décembre 2012

Sylvie Brunel n’est pas une inconnue, loin de là. Géographe, docteur en économie, écrivain et professeur à la Sorbonne, elle est spécialiste des questions de développement. Avec plus de quinze années passées dans l’humanitaire (Médecins sans frontières, Action contre la faim) et une vingtaine d’ouvrages consacrés au développement, en particulier aux questions de famine, elle était donc une invitée de choix pour la conférence organisée par la Chambre d’Agriculture Haute-Garonne, à l’école d’ingénieurs de Purpan, le 3 décembre dernier.

« Perception étrange de l’agriculture par les européens »

Pour Sylvie Brunel, toutes les agricultures ont leur place pour relever le défi de l'alimentation mondiale.
Pour Sylvie Brunel, toutes les agricultures ont leur place pour relever le défi de l’alimentation mondiale

Son expérience humanitaire aux 4 coins du globe a conduit Sylvie Brunel à reconnaître le rôle fondateur et incontournable de l’agriculture et des paysans pour le développement d’une nation. Socles de la croissance, les agriculteurs sont pourtant perçus en Europe de « façon étrange », pour reprendre ses propos. Héros, au lendemain de la 2ème guerre mondiale, pour renouer avec l’indépendance alimentaire, ces agriculteurs sont aujourd’hui au banc des accusés, pour la mission qui leur a été confiée il y a 60 ans. Après être revenue, parfois très en arrière, sur l’histoire de l’agriculture dans la constitution de nos sociétés modernes, Sylvie Brunel a voulu montrer comment la notion de développement durable est aujourd’hui détournée de son but premier et ô légitime de gestion des ressources naturelles. Réfutant la vision idéalisée d’une nature dans laquelle l’homme est un parasite, elle s’est attachée à souligner tout ce que l’action humaine a eu de favorable pour la biodiversité et le modelage des paysages du monde entier, sans toutefois l’exonérer des abus qui lui sont reprochés. « Même la savane des grands parcs naturels d’Afrique sont le résultat de la sélection, par l’homme, des essences d’arbres les plus favorables au développement des sociétés », rappelait-elle. « Vouloir exclure l’humain, considéré comme simple prédateur, dans tous les projets de préservation de l’environnement est une vision idéologique, simpliste et dangereuse », assénait-elle. Avec des ouvrages comme « À qui profite le développement durable » ou « Géographie amoureuse du maïs », Sylvie Brunel a voulu mettre en lumière le discours tronqué et volontairement anxiogène des défenseurs « professionnels » de la nature. Elle appelle à recentrer le débat, non pas sur un retour en arrière vers des techniques d’un autre âge et incompatibles avec les enjeux de l’alimentation mondiale, mais plutôt sur une discussion dépassionnée sur tout ce que la science et la politique sont capables de faire pour nourrir 9 milliards d’individus d’ici 2100.

« L’agriculture doit parler d’une seule voix »

Pour répondre aux défis de l’alimentation de demain, Sylvie Brunel ne parle pas d’une, mais d’une multitude d’agricultures. « Il faut arrêter d’opposer le bio au conventionnel, l’élevage aux grandes cultures, l’alimentaire au non-alimentaire, etc. », poursuivait-elle. « Si un agriculteur bio gagne bien sa vie et qu’il répond à une attente de certains consommateurs, où est le problème ? Mais nourrir des mégalopoles grâce à une agriculture performante, qui exploite au mieux les moindres terres disponibles est tout aussi justifié. Prétendre qu’arrêter l’élevage va permettre de libérer des terres pour nourrir les populations malnutries à base de céréales est une utopie irresponsable. Les famines sont d’ordre politique et économique. Elles n’ont rien à voir avec la disponibilité en nourriture. L’élevage fait vivre et travailler 2 milliards de personnes dans le monde. Tout comme il entretient des secteurs où toute culture est impossible. Il y a de la place pour tout le monde. Mais vouloir imposer une vision ou une autre est stupide et inutile. » Plaidant pour un soutien accru aux agriculteurs, elle a souligné que la plupart des grands pays ont compris l’intérêt stratégique d’une agriculture forte. Alors que l’Europe s’obstine à agir comme si nourrir sa population était d’ordre secondaire et qu’elle n’a toujours pas réalisé que des zones entières de la planète, incapables de produire en quantité suffisante, ont besoin de nos exportations. Le refus systématique des OGM ou la remise en cause croissante de l’irrigation en Europe sont, pour elle, d’autant plus incompréhensibles qu’elle a constaté leur plébiscite et leurs avantages partout ailleurs dans le monde. L’agriculture doit retrouver sa fierté, selon elle, et cesser de faire le dos rond quand elle est accusée. Mais pour cela, il faut réussir à parler d’une seule voix et stopper les querelles internes. Et savoir montrer les dents quand il le faut. « Si les explosions de colère du monde agricole sont compréhensibles, elles ne sont toutefois pas très productives et souvent mal perçues », estimait-elle. « Il faudrait que les agriculteurs communiquent plus ou plus souvent sur ce qu’ils procurent comme confort à la société. Quitte également à engager des poursuites pour diffamation quand elle est injustement attaquée. »

En deux heures d’intervention, Sylvie Brunel a plaidé pour un développement durable qui soit au service du bien-être de l’humanité, en particulier des plus pauvres. Notre planète a les moyens de nourrir ses habitants, à condition que l’intelligence préside aux débats. S’exprimant devant une assistance majoritairement composée d’agriculteurs et d’administratifs d’organisations agricoles, Sylvie Brunel n’aura peut-être pas révolutionné les connaissances de son public. Mais savoir qu’elle a donné cette même conférence, à de multiples reprises, devant des auditoires qui ne connaissent pas le monde agricole a mis un peu de baume au cœur d’exploitants souvent désespérés des discours radicaux repris dans les grands médias. Un exemple à suivre, indubitablement.

Auteur de l’article : Sébastien Garcia

1 commentaire sur “Nourrir 9 milliards d’habitants demain

    […] Pour sa dernière session avant les élections de 2013, le bureau de la Chambre d’Agriculture a voulu donner une note particulière à ce rendez-vous réunissant les 45 membres de l’Assemblée Plénière. C’est l’amphithéâtre de l’école d’ingénieurs de Purpan qui a donc reçu les participants pour une session inhabituelle qui se ponctuait par une conférence sur l’alimentation de la population de demain, par l’économiste et sociologue Sylvie Brunel (voir TUP 1415). […]

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