Viande chevaline: l’heure de la relance a sonné

Publié le 6 avril 2010

La Coopérative Pyrénéenne d’Équidés (CPE) joue son va-tout. « Soit on arrive à mettre sur pied un plan de relance de la viande chevaline produite dans notre Bassin Sud-Ouest, soit le cheval de trait disparaît », estime Alain Carrey-Casaucau, Président de la coopérative tarbaise. « La viande chevaline représente 98% des débouchés de la filière trait. De cette activité dépendent la sauvegarde du cheptel reproducteur dans notre bassin, l’entretien du milieu naturel pour lutter contre la friche et les incendies, mais aussi une bonne part de la dynamique du tissu socio-économique local. »

Se rapprocher du consommateur

Créée en 1985 et forte de près de 1.000 adhérents, la CPE exportait traditionnellement la quasi-totalité de la production de ses éleveurs vers l’Italie et l’Espagne. Mais la donne a bien changé ces dernières années. Les exigences de la société en matière d’environnement et de bien-être animal sont passées par là. Avec la flambée des prix du carburant et la limitation du nombre de bêtes par camion, le transport vers l’Italie de chevaux lourds de boucherie vifs est devenu trop cher.

Pour la coopérative, il y a 2 urgences. D’une part, il faut se rapprocher du consommateur, en conquérant des parts de marchés sur les circuits de distribution locaux et nationaux, avec des produits innovants qui pourront être mieux valorisés. D’autre part, conserver le débouché italien, gros consommateur, en développant l’export en carcasses ou en PAD (prêt à découper). Cela permettrait, en outre, de conserver la valeur ajoutée dans la région, plutôt que de la voir passer les Alpes. C’est sur cette base que la CPE a décidé de structurer une filière d’engraissement de jeunes chevaux de boucherie de trait, dans le Grand Sud-Ouest. L’objectif : commercialiser dans un premier temps 500 carcasses par an et autant sur l’export. La distribution se ferait en circuits locaux (boucheries traditionnelles et supermarchés), par l’intermédiaire d’un grossiste français qui se montre intéressé par la démarche.

« C’est ambitieux mais faisable », assure Alain Carrey-Casaucau, « Mais il faut pour cela que nous arrivions à respecter deux impératifs majeurs : un approvisionnement continu (52 semaines par an) d’un produit standard.

Coopérative cherche éleveurs

Garantir l’approvisionnement régulier passe obligatoirement par une augmentation du nombre d’éleveurs. En élargissant la zone d’activité au bassin de multiplication du Grand Sud-Ouest, il y a un potentiel de 3.500 poulains. « On sait que le poulain est, au départ, un produit saisonnier, avec une naissance au printemps et un sevrage en fin d’automne, à la descente des estives?», poursuit le Président de la CPE. « C’est pourquoi nous proposons aux éleveurs de développer, en post-sevrage, un produit défini dans un cahier des charges. En plaçant immédiatement à l’engraissement, pendant 90/100 jours, les premières bandes de poulains et en mettant le reste à la repousse herbagère, nous pouvons proposer du jeune cheval de boucherie sur les 40 semaines suivantes. »

C’est à une vraie révolution que la CPE appelle ses adhérents. En effet, 85% d’entre eux sont éleveurs naisseurs, contre 10% naisseurs engraisseurs et seulement 5% engraisseurs. Mais Alain Carrey-Casaucau y croit. « Grâce à nos partenaires*, nous pouvons proposer aux éleveurs un appui technique et économique complet. FranceAgriMer versant une aide à l’engraissement depuis le 1er janvier 2010, la CPE propose un système de complément de prix pour inciter également les naisseurs et les repousseurs (voir tableau ci-dessous). »

Preuve de l’intérêt que suscite la démarche, la CPE a demandé, avec succès, aux éleveurs souhaitant s’y inscrire de contractualiser leur production et d’apporter un soutien financier supplémentaire par du capital social. « Nous avons fait appel à ces capitaux privés pour pouvoir boucler notre budget de lancement de l’opération », poursuit-il. « Les éleveurs ont répondu très favorablement. Ils savent, comme moi, que si nous voulons nous en sortir, il faut s’en donner les moyens. » Des caisses de péréquation seront créées pour faire redescendre une partie de la plus value gagnée sur ces circuits courts jusqu’aux éleveurs de base sous forme de complément de prix aux naisseurs.

Communiquer, communiquer et communiquer…

Quelle que soit sa qualité, un produit ne se vend que s’il répond à un besoin. De ce côté, le chantier est énorme. Non pas à cause d’un refus de consommer du cheval, selon Alain Carrey-Casaucau, mais plutôt par perte d’habitude. Lors d’actions de promotion que la CPE a menées dans une grande surface de Tarbes, seuls 3% des personnes ont refusé de la goûter. En novembre dernier, une opération « fooding »** a amené une foule de jeunes parisiens à déguster de la viande de cheval. Succès au rendez-vous : la plupart n’en avait jamais mangé. « C’est une viande mal connue qui a pourtant énormément d’atouts pour elle. Elle est peu grasse, très tendre et notamment recommandée pour les sportifs et les personnes âgées. Mais entre le dire et le faire savoir, il y a un monde. « C’est bien pour cela qu’il faut que l’on privilégie les circuits de distribution locaux, avec une viande bien identifiée sur les étals et les linéaires », insiste Alain Carrey-Casaucau.

Depuis quelques temps, le SUPER U de Gourdan-Polignan propose de la viande chevaline dans son rayon Boucherie. Son chef boucher, Didier Laplace, a demandé à la CPE de lui fournir des quantités non négligeables, pour compléter – et pourquoi pas remplacer à terme – la viande chevaline d’import, un peu moins chère. «?Nos clients sont prêts à acheter plus cher, à condition d’en connaître la provenance et la qualité », témoigne-t-il. La traçabilité étant déjà acquise au sein de la CPE, reste donc à adapter le conditionnement de la viande à la clientèle-cible et à valoriser la notoriété et l’image du produit et des savoir-faire locaux. Pour ce faire, la coopérative semble avoir trouvé un solide partenaire. Le grossiste français dispose d’un large réseau de détaillants et de GMS, souhaite positionner le jeune cheval de trait comme produit nouveau haut de gamme auprès de ses clients.

Voilà peut-être la porte d’entrée au marché que la filière attendait.

* Le projet est soutenu par FranceAgriMer, le Conseil Régional Midi-Pyrénées, Interbev Équins et le Conseil du Cheval Midi-Pyrénées.
** Le fooding est un mouvement qui défend un nouvel art de vivre et de manger. C’est se nourrir avec goût, dans un bel endroit, à table, chez soi ou au restaurant. Les maîtres mots en sont : appétit de nouveautés et de qualité, refus de l’ennui, envie de s’amuser en mangeant et surtout en prenant son temps.

Le point de vue de l’éleveur

Un bon complément de revenu

Claude Cousseau est éleveur à Lautignac, à côté de Rieumes. Les chevaux de trait, il est tombé dedans dès la naissance. «Je fais partie de la 3e génération d’éleveurs de chevaux et mon fils Serge prend le relais. C’est vraiment une histoire de famille. Quand j’ai commencé à travailler sur la ferme de mon père, à 14 ans, on labourait encore avec des chevaux de trait. Puis les tracteurs sont arrivés mais on a toujours gardé l’élevage. D’abord pour la viande, quand ça se vendait encore, et quand le marché a commencé à chuter, on a continué par passion. »

Administrateur de la CPE depuis sa création, il n’a jamais cessé d’améliorer son troupeau, travaillant beaucoup la génétique et essayant plusieurs races. Après le breton et l’ardennais, il s’est spécialisé dans le percheron. Éleveur naisseur, repousseur et engraisseur, Claude Cousseau dispose actuellement d’un cheptel de 20 juments poulinières, 2 étalons, 3 à 4 pouliches de remplacement, 15 poulains de repousse et 16 à l’engraissement. Depuis peu, il teste un croisement comtois/breton, pour la production de jeune cheval de boucherie.

En toute logique, il s’est lancé dans le projet de filière régionale proposée par la CPE. Ce sera même la production principale de l’exploitation. « Je suis en train d’arrêter la production laitière. Les charges sont trop importantes pour le revenu que je dégage et ce n’est pas à mon âge que je vais investir. En plus, mon fils a un emploi à mi-temps comme salarié d’exploitation. L’élevage de chevaux sera donc un parfait complément de revenus et nous permet de continuer à vivre notre passion. » Claude Cousseau croit en cette démarche de filière. « Il faut déjà encourager les éleveurs qui ont quelques chevaux sur leur exploitation à conserver cette activité et ce projet y contribue. Dans un 2e temps, on pourra chercher de nouveaux éleveurs. Bien sûr, ça ne pourra venir qu’en complément. Mais la production de chevaux de trait s’accorde par exemple très bien avec une production bovine. Beaucoup d’éleveurs ne savent pas que les chevaux mangent tous les refus des vaches. Dans des pacages pentus ou difficiles d’accès, cela peut même remplacer le passage d’un broyeur. » En terme de ration de base, il faut compter en moyenne 15 kg de foin par jour et 2 à 3 litres de céréales. Très rustiques, ces chevaux peuvent rester dehors toute l’année.

À l’heure où la diversification s’impose pour préserver un revenu, le jeune cheval de boucherie a donc des atouts à faire valoir. Et Claude Cousseau compte bien en être un des ambassadeurs.

Auteur de l’article : Sébastien Garcia