Trois questions à Eddy Fougier

Publié le 25 octobre 2019

Voilà déjà 20 ans qu’Eddy Fougier s’intéresse aux courants protestataires. Ce consultant et chargé d’enseignement à Sciences Po Aix-en-Provence se penche plus particulièrement depuis 2016 sur l’agribashing. Au travers de trois questions, il revient sur ce phénomène qui agite l’ensemble du monde agricole.

Certains agriculteurs sont montrés du doigt quant à leurs pratiques. On parle de dénigrement, le terme « agribashing » a également été avancé. D’après vous, de quoi s’agit-il exactement ?

Pour moi, il y a une évolution dans la signification du terme agribashing. Dans un premier temps, ce fut ce sentiment qu’avaient certains agriculteurs de faire l’objet d’un dénigrement dans l’espace public (les réseaux sociaux, les médias, etc.), par rapport aux produits phytosanitaires ou l’élevage intensif.

Dans un deuxième temps, et c’est le sens d’aujourd’hui, ce sont plutôt des actions menées sur le terrain par des associations ou des citoyens, avec des insultes, des menaces, des intrusions dans les exploitations, parfois même des agressions. Comme je le dis souvent, nous sommes passés des pages « débats » aux pages « faits divers ». Et cet agribashing est perçu par toute la profession, pas uniquement par la FNSEA.

Quelle attitude doivent désormais adopter les agriculteurs ?

C’est vraiment LA question. Il y a déjà ce qu’il faut éviter. Il ne faut par exemple déjà pas tomber dans un sentiment de victimisation, c’est que ce qu’on entend quelquefois chez des agriculteurs. Certains pensent qu’il faut aussi « rentrer dans le lard » des vegans, des écolos, notamment sur les réseaux sociaux. La tentation est forte, mais c’est également fortement déconseillé.

Sur les dénigrements, il faut véritablement articuler une riposte face aux contre-vérités qui sont assénées dans l’espace public. Cela peut passer par des interventions dans les médias : mais qui doit le faire ? Des syndicats ? Des agriculteurs ? Des tiers ? Cette riposte doit aussi être articulée avec des actions de communication spécifiques vers les consommateurs, afin de mieux les informer sur les pratiques et sur les enjeux actuels de l’agriculture. Il s’agit en fait de reconnecter les consommateurs et les agriculteurs. Certains se sont d’ailleurs déjà saisis de cette problématique, en réalisant et diffusant des vidéos sur Youtube, en prenant la parole sur Twitter, en ouvrant leurs fermes, en participant à des marchés de producteurs, etc.

Pour ce qui relève des agressions, on n’est pas dans la riposte argumentée. Il s’agit en revanche d’un travail de police-justice. Celui-ci a d’ailleurs débuté en avril dernier avec l’installation d’un comité départemental de prévention des actes de malveillance contre le monde agricole. Ce dispositif, expérimenté dans la Drôme, doit ensuite être généralisé dans l’ensemble du territoire national. Début octobre, une convention a d’ailleurs été signée entre la préfecture, la gendarmerie du département et les organisations d’exploitants agricoles locales pour protéger les éleveurs des actes de malveillance, l’État mettant en place à cette occasion un dispositif spécifique de protection avec des alertes par SMS ou un numéro de téléphone dédié pour pouvoir joindre la gendarmerie en cas de délit.

Vous allez intervenir à Montauban le 7 novembre prochain, lors d’une journée organisée par Vivea Sud. Quel message principal allez-vous transmettre ?

Ce qui va m’intéresser là-bas, c’est le retour d’expériences. Je ne viens pas dans ce type d’événements pour dire ce qu’il faut faire. Il y a déjà beaucoup de choses qui se font, il faut voir ce qui fonctionne ou non. Il faut aussi savoir prendre du recul face à ces événements. Il y a beaucoup d’émotions, de réactions qui sont un petit peu à fleur de peau. Il faut réellement prendre le temps de les analyser, ne pas établir d’amalgames et rassurer l’agriculteur.

Enfin, il faut rappeler que les français aiment toujours les agriculteurs. Ils ne sont pas nécessairement hostiles à leurs pratiques. Il ne faut pas assimiler l’ensemble de la population à ce que disent les associations et certains militants. Non, les français ne veulent pas consommer que du bio ou de la permaculture, c’est une erreur de penser cela. Selon moi, le consommateur a deux obsessions : essayer de comprendre d’où vient sa nourriture, comment les ingrédients ont été conçus, si l’animal a été respecté, etc. L’autre aspect, c’est la multitude de modèles agricoles qu’il faut développer pour répondre à la diversité des attentes des consommateurs. Certains voudront en effet du bio, d’autres, des produits de qualité mais peu onéreux, etc. Mais il n’existe pas une seule agriculture pour répondre à tout cela.

Propos recueillis par Aurélien Tournier

Auteur de l’article : Aurélien Tournier

Journaliste.