Fertilisation : faites vos analyses de sol maintenant

Publié le 10 mars 2014

Les prélèvements d’analyses de sol peuvent théoriquement être réalisés durant toute l’année. Mais pour diverses raisons, ils sont pratiqués en grande majorité sur la période d’août-septembre, et d’octobre à décembre en zone Maïs.

La période d’août-septembre présente pourtant certains désavantages. En cas de sécheresse estivale, la réalisation des prélèvements est laborieuse. Du coup, la profondeur des carottages n’est pas toujours respectée. Pour le laboratoire d’analyses, la concentration de l’ensemble des arrivages d’échantillons sur un laps de temps très court entraîne des délais parfois importants dans le rendu des résultats. Pour certaines décisions à prendre, la réception du bulletin d’analyse peut arriver trop tard, notamment sur les zones où la gestion du chaulage doit se raisonner. En effet, les épandages d’amendement minéraux basiques (chaulage) se réalisent en majeure partie sur août, période idéale pour l’épandage des amendements.

On commence donc à entendre de plus en plus parler de faire ces analyses en début de printemps (mars-avril). Au-delà d’un changement d’habitude, la pratique présente de nombreux avantages. Le Trait d’Union Paysan a demandé l’avis de 7 experts en la matière, sur l’intérêt d’avancer les prélèvements au printemps.

 

Bruno Félix-Faure, Laboratoire Galys & Groupe Chaulage du COMIFER

Comme nous l’avions argumenté en détail dans le Trait d’Union Paysan de mars 2012, la réalisation des prélèvements d’analyse de sol en début de printemps (mars-avril) ne pose techniquement aucun problème. En résumé :

  • Les cultures d’hiver ont réalisé la majeure partie de leur cycle d’absorption P, K, Mg.
  • Les cultures de printemps ne sont pas encore semées.
  • Encore peu développées, les cultures d’hiver ne posent pas de problème pour se déplacer dans la parcelle et réaliser le prélèvement.
  • Le paramètre pHeau (qui varie durant l’année) ne se trouve pas encore à son point le plus bas, mais s’y rapproche, contrairement au prélèvement d’hiver où le pHeau est dans ses valeurs hautes (voir graphique ci-dessous).
  • Cette période est suffisamment éloignée de tout apport de fertilisant ou amendement pour assurer un maximum de fiabilité au prélèvement.
  • Sur un plan organisationnel, cette période a l’avantage de faciliter l’anticipation des apports d’amendements et de fertilisants.

Ce fonctionnement dans l’organisation des prélèvements n’a rien de vraiment nouveau. Depuis déjà une vingtaine d’année, la période d’avril est une période de réalisation des prélèvements dans le nord de la France. La raison principale en est l’organisation des apports et épandage. Dans ces régions où les rotations blé-colza sont fréquentes, les moissons se terminent le 15 août et les semis de colza démarrent fin août. Il est donc impératif d’anticiper, car la fenêtre d’à peine quinze jours ne permet pas les prélèvements et les délais laboratoire.

Les régions Centre et Nord organisent de grandes campagnes de prélèvements de reliquat d’azote et une part importante des agriculteurs (pas loin de 30%) profite du déplacement des préleveurs pour faire simultanément des analyses de sol durant cette période (entre janvier et mars).

Dans notre région Sud-Ouest, dans les zones à forte dominante maïs, les prélèvements d’analyses de sol sont réalisés juste après récolte, de la mi-octobre jusqu’à la mi-janvier. Cette organisation est favorable à une bonne anticipation des apports à faire avant les semis de maïs en avril.

Tout est donc question d’habitudes. Mais il est parfois nécessaire de les remettre en cause pour gagner en efficacité et ainsi mieux valoriser les analyses de sol.

 

Jean-Christophe Patapy, animateur commercial de la société MEAC

En 2011, j’ai proposé à certains clients de la société MEAC de tester la désaisonnalisation des analyses de terre sur céréales, en les réalisant au printemps. C’est quasiment la seule période où cette culture trahit un déséquilibre chimique. Lorsque le technicien et/ou l’agriculteur fait le tour des parcelles, il peut facilement voir les ronds jaunes ou rouges au sol ou observer un problème de développement de la culture. C’est donc le meilleur moment pour y prélever des échantillons de terre et les faire analyser. De plus, à partir du mois de mars, tous les apports ont normalement été valorisés par la culture. Il n’y a donc pas de risques de fausser les résultats de l’analyse.

Ce travail, depuis bientôt 3 ans, a permis de comprendre certains phénomènes récurrents sur les cultures, comme les blés jaunissants. Mais il a aussi servi à sensibiliser les agriculteurs sur l’utilité d’une analyse de terre, notamment pour diagnostiquer les problèmes de fertilisation. Localiser finement les zones à problème permet ainsi d’optimiser les apports. Avec, à la clé, des dépenses mieux maîtrisées, mais aussi des rendements améliorés.

 

Patrick Mimart, référent technique Grandes Cultures chez Arterris

Si on raisonne en termes de rétro-planning, l’analyse de sol est le point de départ d’une démarche de pilotage du plan de fumure d’une exploitation. L’analyse est un état des lieux réel et mesuré du bilan de fertilité de ses parcelles. À partir de là, l’exploitant peut concevoir sa campagne à venir, en définissant son assolement et en évaluant ainsi ses besoins en fertilisation. S’il veut être pragmatique, l’agriculteur a tout intérêt à faire coïncider ses achats avec les offres commerciales de morte saison. Pour cela, il est préférable d’anticiper sa campagne d’analyse de terre.

Chez Arterris, nous sensibilisons les agriculteurs à les réaliser entre début février et fin avril au plus tard, histoire d’avoir les résultats fin mai maximum. Ce qui leur permet de faire ce double exercice « Assolement/Calage du plan de fertilisation » avec nos conseillers de terrain, courant juin et juillet.

Durant la campagne dernière, nous avons fait réaliser plus de 900 analyses sur le territoire couvert par Arterris. La demande et l’intérêt sont croissants. Tant nos techniciens que les agriculteurs s’approprient de plus en plus les principaux indicateurs des analyses de sol. On voit ainsi de nombreux exploitants qui analysent, chaque année, une partie de leurs îlots de façon à ce que chacun soit visité tous les 4 ou 5 ans. Ils ont ainsi une photographie générale de l’évolution de l’ensemble de l’exploitation et peuvent adapter en conséquence leur plan de fumure, à l’échelle de la parcelle ou de l’îlot cultural.

Notre coopérative est également très intéressée par l’entrée dans les mœurs de ces analyses de sol. Cela nous permet d’avoir une vue « macro » des sols de notre territoire, de réaliser un bilan de fertilisation à l’échelle du périmètre Arterris et d’en dégager les tendances. Ces données nous guident en termes de préconisations, d’axes de travail et d’acquisition de références sur nos expérimentations, et nous aident à définir nos objectifs pour répondre aux besoins de nos sols et nos adhérents.

 

Baptiste Soenen, ingénieur Service au pôle Agronomie d’Arvalis

Chaque période a ses avantages et inconvénients pour réaliser ses analyses de sol. Mais s’il y a un conseil à donner, c’est qu’une fois la période de prélèvements décidée, il faudra s’y tenir pour les analyses suivantes. C’est à dire qu’il faudra les refaire, dans la mesure du possible, aux mêmes moments et aux mêmes endroits si l’on veut suivre l’évolution réelle des divers indicateurs (pH etc.) du sol de la parcelle.

D’un point de vue agronomique, faire ses prélèvements au printemps permet de repérer plus facilement les problèmes éventuels dans les parcelles, mais aussi d’avoir des résultats d’analyses suffisamment tôt pour apporter ses amendements à l’automne. Ce n’est peut-être pas la période la plus « calme » pour les agriculteurs ou les coopératives, mais prévoir ses analyses de sol en février-mars est plus une question d’organisation de travail à mettre en place qu’une réelle contrainte technique. En résumé, ce sont des habitudes à changer.

 

Dominique Moulet, Directeur opérationnel de la SICA Rouquet

Le sol est le principal outil de production. L’agriculteur a donc tout intérêt à le valoriser, voire le revaloriser. Pour le faire correctement, l’agriculteur doit se positionner en agronome. Et en agronomie, les fondamentaux passent par des analyses de sols. Elles montrent clairement si l’on est bon ou pas et sur quels leviers jouer pour redresser une situation de carence.

La SICA Rouquet propose des campagnes d’analyse de sol pour sensibiliser ses adhérents à cet outil de pilotage de la fertilisation. 200 d’entre eux en ont réalisé l’an passé. Souvent en été, il est vrai, quand l’accès à la parcelle sur chaume est plus facile. Mais il faut aussi reconnaître que cela décale de beaucoup la mise en place d’un plan de fumure. Même si c’est parfois plus compliqué pour les coopératives et les agriculteurs de faire les prélèvements au printemps, cela permet tout de même d’agir de suite, en se basant sur des analyses « fraîches ».

Au-delà de l’intérêt indiscutable des analyses de sol pour gérer le plus finement possible ses plans de fertilisation, il faut aussi rappeler qu’elles seront bientôt un des supports qui feront foi dans les déclarations de la future PAC. Une raison de plus, s’il en fallait une, d’intégrer l’analyse de sol dans ses pratiques agricoles.

 

Geoffrey Goulin, Service Agroenvironnement – Val de Gascogne

Jusqu’à récemment, l’analyse de sol était proposée comme un produit ou service « classique » par les coopératives. Aujourd’hui, notamment chez Val de Gascogne, elle est intégrée au sein d’une approche agro-environnementale globale et fine de la fertilisation. L’agriculteur dispose désormais d’outils d’aide à la décision multiples. Sur blé par exemple, nous proposons, au printemps, deux photos satellite de la biomasse, via Cérélia, pour mesurer le développement végétatif des parcelles afin de fournir des préconisations azote mais aussi déceler des accidents de cultures. Ces données sont complétées lors des tours de plaine de l’exploitant ou des techniciens, qui permettent de repérer plus exactement les carences de certaines zones et cibler les analyses de sol. Intégrées dans notre logiciel, baptisé Epiclès, qui permet une optimisation globale du plan de fertilisation de toute l’exploitation, en prenant en compte les contraintes logistiques, budgétaires et environnementales de l’agriculteur, ces analyses vont affiner les résultats et permettre d’adapter la dose et la nature des fertilisants pour que la campagne de fertilisation soit la plus efficace possible.

Même si l’analyse de sol est rendue obligatoire en Zones Vulnérables, il ne faut pas que l’agriculteur la considère comme une contrainte, au contraire. Elle fait partie d’un panel d’outils et de solutions dont il ne doit surtout pas se priver pour améliorer l’efficacité agronomique, économique et environnementale de son exploitation.

 

Christian Bessières, Chef du pôle végétal-Chambre d’Agriculture 31

L’analyse de sol permet de mieux maîtriser la fertilisation des cultures et de détecter les problèmes de carence ou toxicité. Elle reste l’outil privilégié pour piloter la fumure de fond (phosphore, potasse, oligo-éléments), ou encore pour déterminer si un chaulage est nécessaire. Elle diminue grandement les risque de mauvais positionnement (et donc de gaspillage !) des apports en éléments nutritifs des cultures.

En ce qui concerne l’azote, les agriculteurs exploitant des terres en zone vulnérable doivent désormais réaliser, de façon obligatoire, une analyse de sol par an. Pour les céréales d’hiver, l’analyse porte sur le reliquat azoté en sortie d’hiver. Il est pertinent d’effectuer l’analyse de reliquat au plus près du stade « épi 1 cm », mais avant le premier apport d’azote. Rappelons également que, pour l’azote, les conditions de prélèvements sont strictes, tant sur l’échantillonnage au sein de la parcelle que sur le respect de la chaîne du froid.

Tout comme la fumure de fond ou le chaulage, le raisonnement de la fertilisation azotée peut s’appuyer sur une analyse. Réalisée dans de bonnes conditions, cette mesure de reliquats sera intégrée au calcul de la dose à apporter aux céréales, pour permettre d’appréhender la forte variabilité annuelle de ce poste.

 

Éleveurs, n’oubliez pas les analyses d’effluents !
Les engrais organiques reviennent au final relativement cher à l’agriculteur. Il faut récolter la paille, la stocker, épandre le fumier, etc. Or, on constate que de nombreux sols, dans les exploitations d’élevage, reçoivent des apports massifs d’engrais organiques, sans forcément prendre en compte les apports du fumier et de l’état de fertilité des sols.

Dans un souci d’optimiser l’enveloppe financière dédiée à la fertilisation, il est donc fortement recommandé de réaliser au moins une fois une analyse des effluents d’élevage. Il est conseillé de la faire au moins un mois avant les épandages, de manière à recevoir les résultats avant l’opération. Ce diagnostic des effluents, associé à l’analyse de terre, permet de mettre en lien les besoins en apport avec ceux disponibles sur la ferme. Il reviendra ensuite à l’éleveur de compléter ou non, avec des fertilisants chimiques et/ou des amendements minéraux basiques adaptés.

À titre d’exemple, Val de Gascogne a pris le cas d’une exploitation-type du Comminges, d’une SAU de 95 ha avec 54 UGB. En prenant en compte les pratiques réelles de ce secteur, cette exploitation-type produit environ 285 tonnes de fumier et 170 m3 de lisier. Ces effluents servent en moyenne à fertiliser l’intégralité des 6 ha de maïs fourrage (fumier) et un tiers des 23 ha de prairie (lisier) et des 10 ha de maïs grain (fumier) que compte l’exploitation.

Par rapport aux pratiques constatées sur les 70 exploitations, la coopérative a montré que le simple fait de prendre en compte la valeur agronomique des fumiers et lisiers, épandus uniformément sur l’ensemble des parcelles (même les prairies de fauche), permet des économies de 2 T. d’ammonitrate, 600 kg de Super 45 et 500 kg de chlorure. Soit, sur la facture globale Engrais d’une exploitation, une réduction des dépenses d’environ 800 €. Une somme qui pourrait être réinvestie dans la fumure de fond, histoire de maintenir la fertilité de la parcelle.

 

 

 

Auteur de l’article : Sébastien Garcia