Écophyto : tests en grandeur nature

Publié le 8 juillet 2013

Le 22 mai dernier, la Chambre d’Agriculture de Haute-Garonne avait entrepris une opération « Portes ouvertes » des fermes DEPHY du département. Le compte-rendu des travaux de la matinée, sur l’exploitation du lycée agricole d’Auzeville, vous a été présenté dans le TUP 1427, du 13 juin 2013. Cette 2ème partie devait paraître dans l’édition suivante, mais elle a dû être repoussée en raison des intempéries exceptionnelles du mois dernier. Retour, donc, chez Jean-Christophe Lapasse, agriculteur à Verfeil, qui présentait les premiers résultats des expérimentations menées chez lui, avec l’animateur du réseau DEPHY Grandes Cultures, Aymeric Desarnauts.

Un réseau Lauragais dynamique

Situé dans une zone à bonnes potentialités agronomiques, dont la culture phare est le blé dur, le réseau Lauragais regroupe 11 exploitations. Même sans enjeu eau potable, les bassins versants de l’Hers-Mort et du Girou sont classés en zone à enjeu fort vis-à-vis des exigences fixées par la Directive Cadre sur l’Eau. L’axe principal de travail retenu par le groupe d’agriculteurs est donc la réduction du recours aux herbicides. « Plusieurs pistes sont explorées », explique Aymeric Desarnauts, conseiller Chambre d’Agriculture 31 et ingénieur réseau DEPHY grandes cultures pour le Lauragais. « Les agriculteurs du réseau Lauragais ont ainsi testé le développement du désherbage mécanique, notamment sa faisabilité dans nos sols de coteaux sensibles à l’érosion. Ils tentent aussi d’améliorer la gestion des adventices pendant l’interculture, par la technique des faux-semis. L’allongement des rotations est également à l’étude, pour diversifier les familles chimiques ainsi que les modes d’action des produits. Enfin, ils ont tenté d’adapter les programmes herbicides à la flore en place. »

La réduction de l’usage des fongicides est également abordée, même si les débouchés de la production de blé dur (industrie pastière, semoulière) exigent une très bonne qualité sanitaire des grains. Le travail portera essentiellement sur une meilleure adaptation des programmes aux sensibilités variétales.

Pragmatisme et réalisme…

L’accompagnement des agriculteurs du réseau de fermes Dephy dans la réduction de l’usage des phytosanitaires repose, d’une part, sur le binôme  agriculteur/ingénieur réseau et d’autre part, sur les échanges qui ont lieu au sein du groupe de fermes. « Même si cet accompagnement est nécessaire, l’agriculteur reste seul juge et acteur de ses pratiques et de leur évolution », explique Aymeric Desarnauts. « Mon rôle n’est pas uniquement d’apporter une expertise et un conseil. J’essaye également d’être un facilitateur et un témoin, voire un déclencheur. » Ce travail en commun se fait donc généralement en 3 étapes. Tout d’abord, le binôme réalise un diagnostic de la situation de départ (caractérisation des pratiques et évaluation des performances). S’en suit la conception d’un projet de réduction de l’usage des phytosanitaires. Enfin, vient la mise en œuvre du projet et le suivi des « trajectoires d’évolution ». Premier constat pour ce groupe Lauragais, les exploitations volontaires ont déjà des systèmes de cultures initiaux globalement plus économes en produits phytosanitaires que la référence régionale. Ce qui n’empêche pas que leur implication dans DEPHY ait permis, pour le moment, une baisse de consommation de phytos de plus de 20 % par rapport à la situation initiale, pour atteindre 2/3 de la référence.

Des résultats qu’Aymeric Desarnauts tient à relativiser. « À la forte demande sociétale en termes d’économies d’intrants, s’ajoutent d’une part l’apparition de phénomènes de résistances et, d’autre part, la diminution des molécules disponibles sur le marché », analyse-t-il. « L’agriculteur n’a donc d’autres choix que de trouver des alternatives, qui passent notamment par un retour aux fondamentaux de l’agronomie (rotation, travail du sol, …). Il faut toutefois rester lucide. Il est vrai qu’il y a des marges de manœuvre pour réduire ses IFT, surtout chez les agriculteurs qui avaient les IFT de départ les plus élevés. Mais un facteur capital, sur lequel nous n’avons aucune prise, reste la météo (voir le témoignage de Jean-Christophe Lapasse). Ce que nous essayons de mettre en place, au travers de ce réseau, est une tendance générale à la réduction des phytos… quand les conditions le permettent. Ceci dit, faudra sans doute revenir sur le « culte » de la parcelle propre et s’habituer à voir quelques mauvaises herbes ici ou là… »

Témoignage

Pourquoi pas s’inspirer des techniques du bio ?

Jean-Christophe Lapasse exploite 90 ha dans le Lauragais, à Verfeil. Si son assolement est diversifié, avec une partie en irrigation, la particularité de l’exploitation est que Jean-Christophe conduit une vingtaine de ses hectares en agriculture biologique. Un choix qui ne doit rien au hasard.

Mieux maîtriser l’agronomie

« J’ai pris cette décision il y a 3 ans », explique-t-il. « Dans un 1er temps, je voulais étudier de façon concrète les techniques culturales propres au bio pour me passer de lutte chimique. Comme l’agronomie est la clé de voute de ce système, je voulais voir dans quelles mesures je pouvais éventuellement appliquer ses pratiques à l’agriculture conventionnelle. Le but n’est pas de passer toute mon exploitation en bio, mais de m’en inspirer pour être plus économe en intrants chimiques et d’être techniquement le plus pointu possible. Comme je voulais également vendre en direct ces productions (lentilles, pois chiche, sarrasin, blé tendre, …) le bio me permet aussi d’échanger avec mes clients sur les avantages comparatifs des deux systèmes, en parfaite connaissance de cause et sans a priori pour l’un ou pour l’autre. »

Avec une passion de longue date pour la technique, Jean-Christophe Lapasse n’a pas attendu DEPHY pour raisonner ses pratiques. En 2011, il se lançait ainsi dans la démarche Écophyto et c’est en toute logique qu’il a intégré le réseau DEPHY Fermes, l’an passé. Résultat, son IFT était déjà inférieur de 20% à la référence Grandes cultures au départ de l’expérimentation. S’il a tout de même décidé de se lancer dans l’aventure DEPHY, c’est notamment pour optimiser ses charges opérationnelles et améliorer de façon pérenne ses performances économiques et techniques par une meilleure maîtrise des bio-agresseurs. L’expérimentation commencée chez Jean-Christophe Lapasse et les autres membres du réseau est la transcription à l’échelle d’une exploitation, des essais menés par Arvalis sur la réduction de phytos. « Ils ont déterminé plusieurs protocoles que nous allons tester pendant 6 ans chez nous », résume l’agriculteur. « Nous allons essayer tous les leviers possibles et déterminer les solutions les plus viables pour nos exploitations. »

Jean-Christophe Lapasse en pleine explication sur l'utilisation d'une herse étrille.
Jean-Christophe Lapasse en pleine explication sur l’utilisation d’une herse étrille.

Avec son expérience sur deux campagnes, Jean-Christophe Lapasse a pu répondre sans problème aux nombreuses questions des agriculteurs venus voir ses résultats, chez lui, ce 22 mai dernier. Le moins qu’on puisse dire est que le niveau des échanges volait plutôt haut. « Ce sujet ne laisse jamais indifférent », confiait Aymeric Desarnauts, qui assistait l’agriculteur dans sa présentation. « Mais avec la réputation de fin technicien de Jean-Christophe, l’occasion était idéale pour eux de recueillir des avis et informations de premier ordre. »

Manque encore de recul…

Parmi les interrogations les plus fréquentes revenaient bien entendu la lutte contre les ravageurs, le salissement des parcelles et les rendements. Sans tabou, l’agriculteur s’est prêté au jeu des questions/réponses. « En céréales à paille, les rendements en bio sont quasiment 2 fois inférieurs », reconnaissait-il. « Mais les prix de vente sont aussi nettement supérieur, surtout les années où les prix des céréales conventionnelles sont bas. Par contre, j’ai acheté une herse étrille et, une fois son utilisation maîtrisée, je m’en sers même en conventionnel. Enfin, quand je peux. Avec la météo de cette année, la herse est restée sous le hangar… »

Et c’est bien le point principal de ces deux années d’essai de réduction de phytos. S’il n’a pas encore récolté, Jean-Christophe Lapasse ne se fait pas beaucoup d’illusions sur ses résultats techniques 2013. « Si l’année dernière avait été exceptionnelle en conduite Écophyto, cette campagne-ci risque d’être exceptionnelle… dans l’autre sens », lâche-t-il. « La réduction des phytos, ça marche… si la météo est de la partie. Sinon, ça devient vite compliqué. Cette année, si le salissement a pu être contenu malgré tout, la pression des maladies explose. Les alternatives mécaniques sont impuissantes face à cela et le recours au glyphosate est inévitable. À titre d’exemple, l’an dernier, je n’ai fait qu’un insecticide sur mon colza, contre trois cette année… Il reste l’option de décaler les semis. Mais si c’est jouable pour une petite structure comme la mienne, les fenêtres de tir seraient trop courtes pour semer des surfaces plus importantes. »

Jean-Christophe Lapasse estime qu’on manque encore de recul pour affirmer ou infirmer quoi que ce soit en matière de réduction de phytos. « Il y a des systèmes économes qui fonctionnent, avec une gestion des maladies et ravageurs basée sur un choix de variétés peu sensibles, l’observation régulière des parcelles, le suivi du BSV et la modulation de doses », conclut-il. « Mais il ne faut pas oublier les contraintes qui vont avec. Ce qui est sûr, selon moi, c’est qu’on peut réduire les doses, parfois largement si les conditions le permettent. Mais supprimer toute lutte chimique n’est pas envisageable. »

Auteur de l’article : Sébastien Garcia