«Industrielles ou label, il faut se battre pour les filières courtes»

Publié le 18 novembre 2013

Le 13 novembre dernier, Jean-Louis Chauzy a été réélu à la présidence du Conseil Économique, Social et Environnemental Régional (CESER) de Midi-Pyrénées. À 66 ans, cet originaire de Rodez entame un nouveau mandat de 6 années à la tête d’une assemblée régionale dont les travaux ont un fort impact sur les prises de décision et l’orientation des politiques économiques et agricoles, en Midi-Pyrénées voire au-delà. Lors d’une interview à l’occasion de la dernière session de la Chambre Régionale d’Agriculture, le 22 novembre, Jean-Louis Chauzy est revenu sur les dossiers agricoles et agroalimentaires que le CESER suit de près.

TUP : Jean-Louis Chauzy, on a eu l’occasion de vous voir lors de nombreux évènements agricoles : salons, colloques et même sur des manifestations syndicales. L’agriculture est un sujet qui vous tient à cœur ?

Jean-Louis Chauzy : J’ai la chance d’être aveyronnais, donc l’agriculture, je connais. J’ai aussi un long passé syndical à la CFDT, avec dix ans de responsabilité à l’union départementale et dix autres aux niveaux régional et national. J’y ai mené beaucoup de batailles pour l’économie. Batailles pour le redressement du pays que je continue aujourd’hui avec le CESER. Et l’agriculture est précisément un secteur à part entière et très important de notre économie. Son devenir est donc un enjeu majeur, qui doit retenir toute notre attention. C’est notamment pour cette raison que je me bats pour que l’agriculture figure dans les projets thématiques du futur Plan État Région. Son absence serait une grave erreur quand on voit que l’agriculture et l’agroalimentaire génèrent 100.000 emplois en région.

TUP : Le CESER regroupe 70 organisations (voir encadré ci-dessous). Est-il possible de travailler avec autant de points de vue différents et parfois contradictoires ?

J-L.C : Depuis 20 ans que j’exerce ce mandat, je reconnais que faire la synthèse entre des positions opposées relève d’une alchimie complexe. Le problème le plus délicat est d’arriver à évaluer en permanence où se situe l’intérêt général Mais c’est possible à force de travail et d’investissement personnel et collectif. Nous avons apporté la preuve que le CESER, avec ses membres issus des secteurs socioprofessionnels les plus représentatifs de la région, est capable de faire des propositions concrètes, mais aussi d’anticiper les situations.

TUP : Concernant l’agriculture, quels sont les dossiers qui vous semblent prioritaires ?

J-L.C : Il faut reconstruire les filières de proximité. Certes, nous sommes la 1ère région sur les labels qualité et sur le bio, mais il y a des chiffres qu’on ne devrait pas oublier : 80% du bœuf consommé en Midi-Pyrénées vient d’Allemagne, 42% des poulets « standards » classe A, qui constituent l’essentiel des poulets achetés par nos concitoyens, sont également importés. Et que dire des salaisons de Midi-Pyrénées, quand la moitié des porcs vient de Catalogne et du Danemark ? S’il faut des productions sous label, il ne faut pas non plus que les collectivités se focalisent sur le soutien de filières qui ne nourrissent que 10% des français les plus aisés. Au moment où les O.N.G. reprennent leur activité hivernale, on constate que le nombre de démunis ne cesse de croître. Nous devons donc développer les circuits courts et une agriculture écologiquement intensive et responsable, pour offrir un panel de produits parfaitement sécurisés, à même de nourrir tout le monde, sans exception, et de faire vivre les producteurs. C’est pour cela que je soutiens des projets comme celui de la coopérative Vivadour qui se bat, dans le Gers, pour développer des volailles fermières labellisées (le poulet du Gers), mais aussi de grande consommation. Je rappelle que l’abattoir de Condom, avec plus de 300 salariés, ne peut fonctionner que parce qu’il transforme des poulets de classe A, en plus des labels. Entre un principe de précaution et un Grenelle de l’environnement mal appliqués, et la diabolisation de l’économie en général, nous avons un gros travail de persuasion et de pédagogie devant nous. Edgard Pisani, le meilleur ministre de l’agriculture qu’on ait connu, disait : « Il y a plusieurs agricultures qu’il faut comprendre et respecter. » C’est l’état d’esprit dans lequel je veux situer l’action du CESER.

TUP : La problématique de l’eau fait aussi partie de vos préoccupations…

J-L.C : Il faut être clair : il n’y a pas d’agriculture sans eau. Je le dis et le répète depuis des années, au CESER comme au comité de bassin Adour-Garonne où je siège depuis 6 ans. Sur ce dossier, la France est une anomalie. Contrairement à d’autres pays, nous avons d’abondantes ressources en eau. Pourtant, nous sommes incapables de nous constituer des réserves. Nous n’avons même pas été capables de gérer, l’an passé, 6 millions € de fonds européens dédiés à la constitution de petites retenues, à cause des oppositions de terrain qui ont bloqué le montage des dossiers. C’est une honte ! Prenez le dernier exemple en date, de la retenue de Sivens, dans le Tarn. Autant je suis d’accord avec la protection de la biodiversité, autant il ne faut pas condamner un monde rural qui ne demande qu’à vivre. Dans le Sud-Ouest, il y a une agriculture raisonnée et des agriculteurs raisonnables, sur qui l’on doit s’appuyer. Malheureusement, à l’image de l’affaire des prédateurs, ceux qui réclament sont rarement ceux qui habitent dans les territoires concernés.

N’oublions pas que, dans les 30 ans qui viennent, nous allons accueillir entre 600 et 800.000 nouveaux pyrénéens. Nous aurons besoin d’eau pour ces nouveaux habitants, tout comme pour notre économie, mais aussi nos écosystèmes qui pourraient mourir d’une sécheresse engendrée par ce manque d’anticipation.

TUP : Vous pensez être entendu sur ce point ?

J-L.C : J’ai bon espoir. C’est pour cela que j’ai accueilli avec satisfaction le rapport de mission sur la gestion quantitative de l’eau en agriculture que Philippe Martin, en tant que député, a rendu au Premier Ministre en juin dernier. Le ministre de l’écologie et de l’énergie a su mener cette mission en consultant les populations concernées et en interrogeant les agriculteurs et tous leurs représentants syndicaux, de la Confédération Paysanne à la FNSEA. Ses conclusions rejoignent ce que nous affirmons depuis longtemps, à savoir qu’il faut sécuriser l’approvisionnement et les ressources en eau, et qu’il convient d’avoir une vision par territoire des projets de la gestion. C’est une bonne nouvelle et un encouragement à poursuivre notre travail de sensibilisation.

L’évolution de l’agriculture passera par des mutations dans les pratiques agricoles, visant davantage d’économies en eau et en intrant. Elle passera aussi par la recherche sur les variétés et par l’innovation. Le pôle de compétitivité Agri Sud-Ouest Innovation, que le CESER a porté sur les fonts baptismaux, est une de nos fiertés et la preuve du dynamisme économique que peuvent porter l’agriculture et l’innovation.

Le CESER n’est pas seul à mener ce combat pour une agriculture de production. Nous travaillons avec les agriculteurs, avec la recherche agronomique, les centrales syndicales et même les ONG qui travaillent sur la précarité. La Croix Rouge partage ainsi notre point de vue sur les circuits courts industriels et de qualité. J’ai enfin la faiblesse de croire que mes positions doivent être partagées par de nombreux acteurs régionaux. Sans quoi je n’aurais jamais été réélu…

TUP : Vous auriez un message à adresser aux agriculteurs de Midi-Pyrénées ?

J-L.C : Continuez à progresser dans tous les types d’agricultures dont la France a besoin. Continuez à aménager le territoire de façon responsable. Et participez à la bataille des énergies renouvelables, comme la méthanisation ou le bois énergie. Le CESER mettra à votre disposition sa capacité à proposer et à rassembler tous les acteurs de notre territoire sur des projets porteurs, aux côtés de la Région et de l’État.

 

Un CESER, pour quoi faire ?

De par sa composition, le CESER constitue une image de la société civile. Les membres de cette assemblée expriment les préoccupations, les attentes des différents groupes sociaux qu’ils représentent. Par leurs apports et leurs recommandations, ils contribuent à enrichir les travaux du CESER, qui n’exprime pas la simple addition d’intérêts particuliers, mais tend à mettre en avant la notion d’intérêt général.

La loi du 5 juillet 1972 a institué, dans chaque Conseil Régional, un « Comité économique et social » destiné à participer, par ses avis, à l’administration de la région. Depuis la loi du 2 juillet 2010, portant engagement national pour l’environnement, ces CESR métropolitains obtiennent la compétence environnementale et deviennent CESER : Conseils économiques, sociaux et environnementaux.

25 CESER existent et sont composés des représentants du monde socio-économique. Un CESER remplit une mission de consultation auprès des instances politiques de la région. Il ne prend donc aucune décision mais émet des avis. Il est obligatoirement saisi pour donner son avis, avant leur examen par le Conseil Régional, sur des documents relatifs :

  • à la préparation et à l’exécution dans la région du plan de la nation ;
  • au projet de plan de la région et à son bilan annuel d’exécution, ainsi qu’à tout document de planification et aux schémas directeurs ;
  • aux différents documents budgétaires de la région ;
  • aux orientations générales dans les domaines sur lesquels le Conseil Régional est appelé à délibérer ;
  • aux schémas régionaux d’aménagement et de développement du territoire.

Le Président du Conseil Régional peut demander au CESER des avis sur des projets économiques, sociaux, culturels ou intéressant l’environnement dans la région. Le CESER peut aussi, de sa propre initiative, émettre des avis sur toute question relevant des compétences de la région.

Le CESER Midi-Pyrénées est une assemblée composée de 119 membres issus des secteurs socioprofessionnels les plus représentatifs de la Région, répartis en trois Collèges de 38 membres désignés par leur organisation professionnelle ou sociale (« Entreprises et activités professionnelles non salariées », « Syndicats de salariés » et « Vie collective ») et d’un Collège « Personnalités qualifiées » de 5 membres directement nommées par le Préfet de Région.

Auteur de l’article : Sébastien Garcia

Commentaires fermés.