« La viande doit savoir se rendre à nouveau désirable »

Publié le 5 septembre 2018

La société connaît un profond chamboulement de son  rapport à l’alimentation. Pour Denis Lerouge, directeur du département « Communication produit et promotion » d’Interbev, la viande a une longue et belle histoire : passée… mais aussi
future.

TUP : On entend beaucoup que les Français consomment moins de viande qu’avant. Qu’en est-il ? 
Denis Lerouge : « Les études montrent que la consommation alimentaire se transforme. Les repas sont pris plus fréquemment hors domicile et le temps passé à préparer les repas diminue. Conséquences : les achats de produits frais traditionnels
deviennent moins fréquents tandis que les produits tout prêts connaissent un succès certain. La viande – comme le fromage – subit le même phénomène. Elle voit encore baisser ses quantités achetées en 2018 de 4.4 % (par rapport à l’année précédente, qui était déjà en baisse). Logiquement, les dépenses des Français en viande chutent de 3.5 % en 2018, sachant qu’elles avaient déjà connu une baisse de 2 % en 2017.

Tous les types de viande sont-ils logés à la même enseigne ?
Non, dans cette tendance à la baisse,  les quantités achetées de viandes brutes chutent de 5.5 % tandis que les viandes élaborées résistent et progressent de 0.8 %. Cette distinction se révèle être un marqueur  important quand on sait que la viande élaborée représente 50 % de  la consommation de viande chez les moins de 35 ans, c’est-à-dire les consommateurs de demain. Par ailleurs, on sait que les quantités de viande consommée en restauration et dans les plats tout-prêts augmentent, mais sans compenser les baisses que je viens d’évoquer.

Comment peut-on expliquer une telle évolution ?
Les Français ont changé. Manger  de la viande renvoie à ce que nous sommes et à la façon dont nous agissons (ou non) en accord avec nos valeurs, nos comportements, nos habitudes, nos pratiques alimentaires. Aujourd’hui « ce que nous sommes »
et les choix qui nous guident ne sont plus les mêmes que ceux de la société française des années 1950 ou  même des années 1990.

Est-ce propre aux Français ?
Non, ce mouvement est plus un effet  de génération dans le monde occidental. Le rapport au monde et à l’alimentation a changé. La fragilisation de son statut ouvre automatiquement la porte à sa remise en cause, ce que nous vivons aujourd’hui. D’autres valeurs, d’autres courants de fonds apparaissent  et traversent les sociétés occidentales et nos modes de vie actuels ; ceux-là mêmes qui donnent sens à ce que nous sommes et qui façonnent notre rapport complexe à la viande. Ces mouvements  de fond donnent leur pleine mesure au sein de la catégorie dite des millénials dont le comportement général diverge nettement de celui  des générations antérieures.

Qu’entendez-vous par « millenials » ?
Le terme millénials désigne la génération née après 1982 ; ceux qui ont eu 18 ans en l’an 2000, soit les 18-35 ans aujourd’hui. Ils représenteront la moitié de la population active en 2020, 75% dans 10 ans. Leur poids démographique et économique  les rend incontournables. Leurs valeurs, leurs goûts et leurs comportements sont les clés pour comprendre les nouvelles dynamiques de consommation.

Justement, quelles sont les références de cette génération ?
Les millénials sont les enfants de l’essor de la circulation, des biens, des idées et des personnes. S’ils ont gardé certaines références du monde dont ils ont hérité, ils se créent de nouveaux repères, adoptent de nouveaux comportements, de nouvelles
formes de consommation. Née dans un monde en crise qui s’interroge sur ses valeurs, marquée par un métissage réel et culturel, cette génération invente ses propres référents et, surtout, les promeut et les revendique fortement. Les millénials sont des « apôtres » de la liberté individuelle. Liberté qui s’exprime en premier lieu dans l’appropriation de soi. Cette génération fait preuve en effet d’un fort sentiment de soi et de son image. Ils attachent beaucoup d’importance à la valorisation du corps, ce qui peut se traduire aussi bien par la remise en cause du genre, par le goût pour les tatouages que par l’attention portée à la nutrition, à ce que l’on mange ou que l’on ne mange pas et à la façon dont on le consomme.

Auteur de l’article : Marie-Laure Chabalier