Les Pyrénées vent debout contre l’ours

Publié le 15 mars 2010

« On pensait avoir été assez clairs en 2006. Mais apparemment, le message a besoin d’être répété. Et bien nous sommes de retour et nous reviendrons aussi souvent qu’il le faut, jusqu’à ce que notre ministre de l’écologie comprenne que l’ours slovène n’est pas le bienvenu dans les Pyrénées ! » C’est par ces mots que Bernard Moules, chargé du dossier Montagne à la FRSEA Midi-Pyrénées, accueillait les manifestants venus à Tarbes, le 13 mars 2010, protester contre un nouveau projet d’introduction d’ours.

Surdité étatique

Ils ont été nombreux à réagir aux propos de Chantal Jouanno, secrétaire d’État chargée de l’Écologie, en janvier dernier, qui annonçait de nouveaux lâchers pour assurer la viabilité de la population ursine, après les élections régionales. À l’appel de l’ADDIP (Association pour le Développement Durable de l’Identité des Pyrénées) et de la FRSEA, 2.500 éleveurs, bergers, chasseurs, forestiers, habitants et élus, venant des Pyrénées, de Savoie ou d’Espagne, ont manifesté leur colère devant l’autisme d’un pouvoir central, décidément coupé de ses populations rurales.

Car c’est bien là le fond du problème, plus que l’ours en lui-même. « Imaginez que vous montez un col pyrénéen à vélo. C’est déjà difficile. Si on vous ajoute en plus un sac de 80 kg sur le dos, jamais vous n’y arriverez. L’ours, c’est le sac en trop sur le dos du pastoralisme… », expliquait Jean-Louis Cazaubon. « Nous ne sommes pas des sauvages », poursuivait Bernard Moules. « Ce n’est pas tant contre l’animal lui-même que nous nous battons, mais plutôt contre l’État qui veut confisquer nos territoires et nous imposer notre façon de vivre depuis les bureaux parisiens, sans accorder la moindre importance à l’avis des populations locales. » Il est vrai qu’un sondage IFOP, commandé fin 2008 par le ministère de l’écologie, avait révélé que 61% des habitants des Pyrénées étaient contre la réintroduction de l’ours. Sans que cela freine pour autant l’État dans sa volonté d’aller jusqu’au bout de son programme… « À se demander à quoi servent nos élus politiques », s’interrogeait Bernard Moules, tout en adressant un salut amical au parterre d’élus locaux présents à la manifestation.

Front uni pour les Pyrénées

À  la veille du premier tour des élections régionales, plus d’un élu avait fait le déplacement. Plusieurs se sont exprimés sur leur vision de la place de l’homme dans les Pyrénées et sur l’avenir des territoires ruraux. À l’applaudimètre, Gérard Trémège, Maire UMP de Tarbes, et Josette Durrieu, Présidente PS du Conseil Général des Hautes-Pyrénées ont fait jeu égal. Le premier se positionnait « pour l’introduction de l’ours, mais dans le 18ème arrondissement à Paris ». La seconde rappelait que « la France, ce n’est pas Neuilly, ni Paris, ni même l’Île de France, mais l’espace rural qui la compose à 80% et sur lequel l’État n’a pas à faire n’importe quoi sous prétexte qu’il est moins peuplé. »

Les chasseurs, très nombreux, ont également fait part de leur exaspération. « Tous les jours, on nous demande de chasser davantage de grands gibiers, sangliers ou cervidés, qui causent des dégâts aux cultures et des accidents de la route », témoignait Jean-Marc Delcasso, Président de la Fédération des chasseurs 65. « On veut maintenant nous imposer l’ours qui a besoin de calme et de tranquillité pour ne pas devenir agressif. Où est la cohérence ? »

Augustin Bonrepaux, Président du Conseil Général de l’Ariège, s’interrogeait, lui, sur le bilan carbone de « l’opération

 Réintroduction », entre les allers/retours en Slovénie et les 4×4 du ministère qui cherchent désespérément à retrouver la trace des ours dans le massif…

Sur le bilan carbone, justement, Jean-Louis Cazaubon rappelait que les Pyrénées sont un formidable puit de carbone, grâce aux pâtures régulièrement entretenues et fauchées. « Il serait temps que les environnementalistes réalisent ce que le pastoralisme fait, non seulement pour l’économie du massif pyrénéen, mais aussi pour la biodiversité et l’environnement. »

Avec ce front uni contre l’annonce de Madame Jouanno, les choses sont allées étonnamment vite. En effet, peu avant la fin de la manifestation, Christian Fourcade, Président de la FDSEA 65, annonçait qu’une délégation serait reçue le mardi suivant par Jean-Louis Borloo, de passage à Tarbes (voir encadré). Enfin, l’ADDIP devrait prochainement rencontrer Chantal Jouanno. Ce qui est n’est pas encore une victoire, les précédentes rencontres prévues ayant été systématiquement reportées…

La conclusion revient à Marie-Lise Broueilh, élue Chambre d’Agriculture et Présidente de l’ASPP 65 (Association de Sauvegarde du Patrimoine Pyrénéen). « Avec cette manifestation, nous avons fait une démonstration d’une vision partagée par les différents habitants des Pyrénées. Notre discours a également évolué. Nous sommes sortis de la trop réductrice problématique Ours pour aborder l’avenir global des territoires pyrénéens. Cette maturité et notre fermeté font que les élus régionaux nous soutiennent. C’est la seul façon pour nous d’y arriver. »

Borloo face à la réalité du terrain

De passage à Tarbes, Jean-Louis Borloo a rencontré une délégation de la FDSEA 65 et de l’ADDIP, le 16 mars dernier. Au menu, le dossier Irrigation, la conditionnalité et la réintroduction de l’ours. C’est sur ce dernier point qu’est intervenue Marie-Lise Broueilh. Interpellé sur les lâchers, le ministre de l’écologie a plus ou moins démenti sa Secrétaire d’État : « Rien n’est encore décidé et aucun calendrier n’a été arrêté », a-t-il déclaré. En clair, Chantal Jouanno aurait été un peu vite en besogne, sans doute dans le feu de la campagne électorale…

Mais malgré ce « report », Marie-Lise Broueilh ne désarme pas pour autant. Elle a proposé à Jean-Louis Borloo 3 préalables à toute décision sur le dossier Ours. Tout d’abord, un état des lieux de la santé des Pyrénées qui prenne en compte toutes les dimensions du développement durable : économique, écologique, sociale et culturelle. « Si on fait un état des lieux en terme écologique, nous n’avons vraiment pas à rougir », affirme-t-elle. « Un diagnostic biodiversité a été mené par la région Midi-Pyrénées, qui démontre l’excellence de notre massif en la matière. Et il n’y a qu’à voir le nombre de zones Natura 2000 qui prouve que depuis des décennies, le pastoralisme a su créer et entretenir des paysages remarquables d’un point de vue environnemental. Pour les autres composantes du développement durable, cela fait longtemps que les Pyrénées sont un exemple de dynamisme économique, avec des territoires vivants, dynamiques et à l’identité affirmée. » Le 2ème préalable consiste à consulter les autorités espagnoles sur le programme Ours. « Le massif est commun à nos deux pays », rappelle Marie-Lise Broueihl. « Or, jamais l’Espagne n’a été informée ou consultée, alors que les ours ne connaissent pas les frontières. Il serait temps de tenir compte de nos voisins, qui ont beaucoup de choses à dire sur notre manière de procéder… » Enfin, il faudrait prendre en considération les élus locaux. Sur ce 3ème préalable indispensable, Bernard Moules, qui siège au Comité de Massif, a rappelé que la légitimité des représentants « élus » par la population devrait primer sur la pression d’associations qui ne représentent que leurs adhérents. « C’est une simple question de respect de la démocratie », soulignait-il. C’est sur ce point que Marie-Lise Broueihl a lâché au ministre ce qu’elle avait sur le cœur depuis longtemps : « Il serait temps de faire le ménage dans votre ministère », a-t-elle lancé. « La proximité entre vos services et les militants écologistes est inacceptable. Ils sont subventionnés par l’État et utilisent ces moyens pour lui faire des procès ! »

Si Jean-Louis Borloo n’a pas réagi sur le vif à ces attaques, les déclarations faites aux médias au sortir de la réunion montrent qu’il a tout de même entendu le message. Une nouvelle consultation du Comité de Massif devrait être organisée vers mai ou juin. Satisfaite Marie-Lise ? « On va reprendre les discussions sur des bases plus saines. Je ne sais pas quelle en sera l’issue. Mais pour le moment, ça m’a soulagée d’avoir pu lui servir quelques vérités. » Ce qui n’est déjà pas si mal…

Auteur de l’article : Sébastien Garcia