Pronomade(s) fait danser les élèves de St Gaudens

Publié le 5 juillet 2014

Comme Monsieur Jourdain faisant de la prose sans le savoir, chacun d’entre nous fait de la danse, sans vraiment en être conscient. C’est ce constat qui guide en partie les projets artistiques de Julie Desprairies depuis des années. Le travail de cette chorégraphe lyonnaise tourne principalement autour de l’architecture de bâtiments, qu’ils soient historiques ou simplement professionnels. « Je cherche des lieux dont les lignes, les formes ou les textures me parlent », explique-t-elle. « Puis j’essaie de connaître l’histoire de chaque bâtiment, parfois en rencontrant son architecte, pour comprendre son rôle et voir comment il influe sur les personnes qui y vivent ou y travaillent. » C’est cette interaction bâtiment/humains qui intéresse la jeune femme. Car chaque métier, chaque activité liée à un lieu comporte une gestuelle spécifique, une « danse qui s’ignore » et que Julie Desprairies s’attache à faire ressortir au travers d’une chorégraphie. Avec la participation active des occupants.

Ça tourne à Saint Gaudens

Bien connue des Commingeois, l’association « Pronomade(s) en Haute-Garonne » est un des 11 Centres Nationaux des Arts de la Rue existant en France. Basée à Encausse les Thermes, à côté de St Gaudens, Pronomade(s) porte un projet culturel de territoire pensé non seulement pour les habitants, mais également avec eux. C’est ainsi que depuis 2002, Pronomade(s) travaille avec le Lycée agricole de St Gaudens, autour de compétences croisées entre les artistes et les élèves. Fin 2013, l’association a commandé* un projet artistique à Julie Desprairies, autour des bâtiments de St Gaudens. Lors de son premier repérage, cette dernière a sélectionné 9 lieux** pour leur intérêt architectural, dont l’antenne locale de la Chambre d’Agriculture et son hall à claire-voie très « graphique ». Elle est ensuite allée à la rencontre des personnes travaillant dans ces différents endroits, pour leur présenter le projet, les regarder évoluer dans leur environnement professionnel et ébaucher les grandes lignes d’une chorégraphie. Un peu étonnées dans un premier temps, toutes les personnes approchées se sont prêtées au jeu. Contactés par Marion Vian, codirectrice de Pronomade(s), les élus commingeois de la Chambre d’Agriculture ont alors suggéré d’associer le lycée agricole au projet. Marc Guillebot, professeur de zootechnie, et Aurélie Scholasch, de la vie sociale et culturelle de l’établissement, ont tout de suite adhéré au projet. « Il n’y a que les agents de terrain de l’ONF qui ont été timides », sourit Julie Desprairies. « Mais le personnel administratif de l’organisme a pris le relais et ont accepté de mettre en scène leurs gestes quotidiens, devant la caméra. » Car l’intégralité du projet a été filmée par le réalisateur Serge Bozon. Le film, d’une quarantaine de minutes, tiré de ces 9 tableaux dansants sera projeté le mercredi 12 novembre, au cinéma Le Régent de St Gaudens.

Danser son (futur) métier

Ce 21 mai 2014, ce sont des jeunes très concentrés et sérieux qui exécutent, tous ensemble ou par petits groupes, des mouvements bien coordonnés, sous l’œil attentif de Julie Desprairies. Équipé de son clap, Serge Bozon dirige acteurs d’un jour et cameraman, dans un hall transformé en étable virtuelle. Quelques mois plus tôt, ces élèves de 2nde Pro

duction Animale et leur professeur, avaient fait une démonstration de contention d’animaux devant Julie Desprairies, à la ferme du lycée à St Médard. « Paillage, tri des bêtes, positions de sécurité dans la manipulation d’une vache, …, la gestuelle extrêmement précise, propre aux métiers de l’élevage, était idéale pour mettre en valeur le hall de la Chambre d’Agriculture », explique-t-elle. « Je suis donc partie de là pour concevoir la chorégraphie. » Dans les mois qui suivront, la classe peaufinera les gestes, les placements et le timing prévus par la jeune femme. Les élèves ont d’abord découvert la rigueur imposée par la danse et le cinéma. « Et même s’ils étaient obligés de participer, du fait que l’activité culturelle fait partie de leur cursus, ils se sont très vite pris au jeu », ajoute Marc Guillebot. « Au début, on avait peur d’être ridicules », confie l’un d’eux pendant une pause. « Mais finalement on s’amuse bien, on découvre un monde qu’on ne connaît pas… et surtout on n’est pas à l’école. » Il faut dire aussi que les professeurs et la chorégraphe ont pu compter sur l’appui d’un éleveur pour vaincre les premières réticences des élèves.

« Le développement d’un territoire passe aussi par la culture »

D’abord contacté pour des informations, puis intégré de fil en aiguille au projet, Olivier Beaufils, éleveur à Ponlat-Taillebourg, s’est personnellement investi dans cette opération pour le moins inhabituelle. Voyant que les jeunes comprenaient bien ce que l’on attendait d’eux mais que la raison même de ce projet leur échappait, Olivier Beaufils est intervenu en classe pour leur expliquer sa vision des choses. « Le développement d’un territoire passe, certes, par l’économie, mais aussi par le développement culturel et touristique », leur a-t-il déclaré. « Et ce n’est pas parce que nous, agriculteurs, sommes peu nombreux, que nous ne devons pas interagir avec la société dans laquelle nous vivons. Cette démarche artistique est un moyen, pour nous, de présenter notre métier sous un angle nouveau. Mais c’est aussi une occasion rare d’apprendre à connaître un monde artistique et culturel qui nous est souvent mystérieux. » Un discours qui a porté ses fruits, à voir l’implication de ces jeunes pendant le tournage. Et s’il fallait leur donner un dernier argument, c’est le propre fils d’Olivier Beaufils, Bastien, qui s’en est chargé. En acceptant de tourner une scène, seul, avec une concentration et un sérieux impressionnants pour ses 12 ans, le garçon a donné l’exemple à tout le monde. De quoi motiver les élèves, leurs professeurs et son père à faire aussi bien. Ce qu’ils ont d’ailleurs fait avec brio, au long d’une journée bien remplie, aussi originale que stimulante. Et si vous voulez vous en rendre compte par vous-même, rendez-vous au Régent en novembre…

 

* Le projet est financé par la ville de Saint Gaudens, le Conseil Régional Midi-Pyrénées et Pronomade(s). Le centre de Développement Chorégraphique de Toulouse est également partenaire et a mis à disposition 12 danseurs, venus en renfort au lycée Bagatelle.
 
** ONF, Lycée Bagatelle, Chambre d’Agriculture, Piscine Tournesol, Tribunes de l’ancien rallye, Promenade, Vue sur l’usine à papier, Chapelle Saint Jacques, Centre de Contrôle Technique DECRA.

Auteur de l’article : Sébastien Garcia

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