Rencontre au sommet entre éleveurs et administration

Publié le 8 octobre 2015

L’endroit était plutôt inhabituel pour une réunion… Le 15 septembre dernier, au matin, un groupe de 17 personnes se retrouvait à quelques kilomètres au dessus de Luchon, dans la vallée du Lys. Ce jour-là, pas de tables, de vidéoprojecteur, ni d’ordinateur portable, mais des sacs à dos, des coupe-vents et de solides chaussures de marche. Emmené par Francis Ader, éleveur ovin et membre du bureau de la Chambre d’Agriculture 31, le groupe attaque alors une tournée de plusieurs heures, dans l’estive du Groupement Pastoral (GP) des Crabioules (voir « zoom sur… »). Parmi les marcheurs se comptent de nombreux représentants de l’administration, accompagnés de techniciens de la Chambre d’Agriculture, de l’ACAP* et d’un cabinet de conseils spécialisé dans le pastoralisme.

Toucher du doigt les contraintes de l’élevage de montagne

À l’initiative de cette journée inédite, la Cellule Pastoralisme et Montagne de la Chambre d’Agriculture et son élu référent ne cachent pas leur satisfaction. « L’administration a largement répondu à notre invitation », se félicite Francis Ader. « Nous avons avec nous les services Pastoralisme, Économie Agricole et Environnement de la Direction Départementale des Territoires (DDT31), l’Agence de Services et de Paiement (ASP) et la Direction Régionale de l’Agriculture (DRAAF). Vus les nombreux sujets que nous voulions aborder, c’est bien que les principaux organismes responsables de la gestion du pastoralisme et des contrôles se soient déplacés. » De fait, le programme de la journée était plutôt chargé. Au menu des dossiers à aborder figuraient ainsi le fonctionnement et l’organisation d’une estive, l’agriculture de montagne et la PAC, la gestion du foncier, la définition des prorata en zone de montagne, les MAEC et Natura 2000. « Entre les exigences d’une estive et les obligations administratives de la Région, de l’État et de l’Europe, nous avions besoin de cet échange sur le terrain », poursuit Francis Ader. « Il fallait que la profession agricole et l’administration puissent dialoguer devant un cas concret comme cette estive, pour comprendre et se comprendre. » Aussi logique que puisse paraître cette initiative, jamais un cas pratique comme cette visite n’avait été organisé entre les services de l’État, les techniciens et les éleveurs. Autant dire que chacun en attendait beaucoup.

Zoom sur…

Le GP des Crabioules

Le Groupement Pastoral (GP) des Crabioules a été créé en 1988, à l’initiative d’un groupe d’éleveur des communes de Castillon-de-Larboust, Cazaux-de-Larboust et Saint-Aventin. Ce GP utilise près de 2.500 ha d’estive, répartis sur ces trois communes.

Il compte 12 éleveurs transhumants, dont 8 locaux, et est présidé par Francis Ader. Globalement, le nombre d’éleveurs et de brebis est resté stable au fil des années. Le troupeau est composée d’environ 3.400 brebis, essentiellement de race Tarasconnaise, destinées à la production d’agneaux.

Ce troupeau est réparti en deux troupes de 1.700 brebis, gardées de juin à novembre par deux bergers, salariés du GP.Ces troupes sont réparties sur deux secteurs distincts :

  • Mont du Lys (Sabarthes, la Coume, les lacs, Maupas, Pré long)
  • Sarnes (Labach, Coume de Nère, Crabioules, Sarnes)

Le casse-tête des prorata en estives

Les déclarations PAC ont été particulièrement complexes pour les gestionnaires d’estive (Groupement Pastoraux, Mairies et Associations Foncières Pastorales), cette année. En effet, les quelques 20.000 hectares d’estives déclarés à la PAC en Haute-Garonne sont maintenant soumis à la méthode des prorata, au même titre que les prairies permanentes sur les exploitations individuelles. Cette méthode consiste à estimer la surface admissible aux aides PAC, à partir du taux de recouvrement du sol par des éléments non admissibles disséminés sur la surface (affleurements rocheux, éboulis, litière, buissons non adaptés au pâturage, arbres sans ressource au sol, etc.). La correspondance entre le taux de recouvrement et la surface admissible est alors définie par une grille nationale de prorata. Par exemple, sur une estive, on estime que les cailloux occupent un quart de la surface totale, soit 25%. La grille nationale de prorata prévoit qu’entre 10 et 30% d’éléments non admissibles, 80% de la surface sera déclarée admissible aux aides PAC.

Évaluer l'enherbement des estives peut s'avérer sportif...
Évaluer l’enherbement des estives peut s’avérer sportif…

Dans les déclarations PAC 2015, les gestionnaires d’estive ont ainsi dû dessiner des parcelles avec chacune une affectation de prorata. Même s’ils disposaient, pour ce faire, de photos aériennes et d’un référentiel photographique national d’admissibilité des surfaces, l’exercice requière une parfaite connaissance de leurs estives. Et laisse beaucoup trop de place à la subjectivité et l’imprécision. « Les surfaces d’éléments non admissibles ont été calculées par les services de l’IGN », explique Francis Ader. « Mais comment une image satellite peut-elle distinguer des fougères non pâturables d’une végétation « comestible » ? De même, une surface boisée sera déclarée comme non admissible par l’administration, alors que nos troupeaux trouvent de l’herbe en dessous. En cas de contrôle, on peut se retrouver pénalisé pour une affectation décidée par les services de l’État. » Un des buts de la visite était donc de confronter le prorata déclaré sur cette estive par le GP des Crabioules, avec l’estimation visuelle qu’en feraient les représentants de l’ASP, le service chargé des contrôles PAC. C’est avec un certain soulagement que l’éleveur et les services de la Chambre d’Agriculture ont constaté que les agents de l’ASP arrivaient aux mêmes résultats qu’eux, en termes de taux d’enherbement.

Au revoir PHAE, bonjour MAEC

C’était la mauvaise nouvelle de 2014. Jugée non « euro-compatible », la Prime Herbagère AgroEnvironnementale (PHAE) a été supprimée en 2015. Un coup dur pour le GP de Crabioules qui perdait là une aide importante à l’organisation collective. Fort heureusement, le Groupement Pastoral a pu se tourner vers une autre solution pour amortir cette baisse de soutiens.

Grâce à la présence de sites Natura 2000 dans le secteur, trois GP (dont celui de Crabioules) ont pu contractualiser une Mesure Agro-Environnementale et Climatique (voir encadré). Baptisée MAEC HERBE_09, cette mesure porte sur un total de près de 2.000 ha. Elle impose aux surfaces engagées un plan de gestion, avec une conduite préconisée en termes de chargement, plages d’effectifs et des durées d’utilisation. Prévue pour améliorer la gestion de zones spécifiques, cette mesure identifie des habitats « prioritaires ». Seul détail, dont ont pu discuter les participants à la visite, ces deux habitats cohabitent très étroitement, souvent au sein d’un même quartier (voir « Le saviez-vous ? »). « Les éleveurs réfléchissent en termes de quartiers et l’administration en termes d’habitat », précise Francis Ader. « Sur de nombreux quartiers, nous nous retrouvons avec de véritables mosaïques d’habitats prioritaires et non-prioritaires, dont seuls les premiers sont éligibles à la MAEC. Même si cela ne pose pas trop de problème dans l’absolu, il était important de montrer l’organisation de nos estives aux services de l’État pour la bonne compréhension de tous et la bonne marche de ces mesures. » La visite aura enfin permis à Jérôme Pereira, de la société GESTNAT Conseil (consultant pour la Chambre d’Agriculture 31) de valider la conformité de la classification Natura 2000 avec la réalité du terrain. De fait, la délimitation des différents habitats date de 2007.

Très chères cabanes

Christian Brandan passe plus de 6 mois par an dans une cabane.
Christian Brandan passe plus de 6 mois par an dans une cabane.

Dernier point abordé lors de cette journée, la réhabilitation des cabanes de berger a occupé une bonne part des échanges. Un ambitieux Plan de Soutien à l’Économie Montagnarde (PSEM), de plus de 100 millions €, est financé par l’État et l’Union Européenne (programmes FEDER et FEADER). Coordonné par le Conseil Régional, ce plan prévoit – dans une de ses mesures – d’accompagner le pastoralisme pyrénéen. Et l’amélioration des conditions de vie et de travail du gardien de troupeau fait partie des actions retenues. Or la visite à la Cabane de la Coume, sur l’estive des Crabioules, a montré le fossé entre dossiers de financement et réalité de terrain. À 58 ans, Christian Brandan passe plus de 6 mois par an dans une pièce de 5 m², sans eau, électricité, ni même de cheminée. « Il n’a aucune exigence sur les questions de confort », note Francis Ader. « Mais aujourd’hui, il est impensable de vivre dans de telles conditions. Nous avons montré à l’administration qu’il y a suffisamment d’herbe sur nos estives pour augmenter le cheptel. Mais pour cela, il faut des bergers. Et donc des logements dignes de ce nom… »

Étienne Fréjefond, chef du service économie agricole de la DDT 31
Étienne Fréjefond, chef du service économie agricole de la DDT 31.

Mais si les financements existent bel et bien, c’est du côté de la réalisation que le bât blesse. Sur le même GP, la cabane de la Serre dispose de l’électricité, mais n’a pas non plus d’eau courante. Elle a pourtant été rénovée il y a un an, pour la modique somme de… 150.000 €. Mises en cause par les éleveurs, les entreprises et corps de métier qui savent que le projet est subventionné à 80% et gonflent donc exagérément les devis. « Le problème vient des appels d’offre », estime Francis Ader. « On sait que construire des cabanes en haute montagne coûte cher, à cause du transport de matériaux par héliportage ou encore du recours à un architecte. Mais, au travers de l’ACAP, nous demandons à ce que les devis soient plus rationnels. Si les financeurs exigeaient un cahier des charges précis, avec une liste des équipements obligatoires et un plafond par poste, on pourrait faire beaucoup mieux pour beaucoup moins cher ! » Un message que la profession espère faire entendre tout au long de la longue chaîne décisionnelle par lesquels transitent ces fastidieux et complexes dossiers de financement européens.

C’est donc au terme d’une journée sportive mais instructive que les 17 marcheurs ont chacun rejoint leurs organismes respectifs. Une initiative à réitérer, selon les participants. « Caler les agendas de tout le monde a été très délicat », termine Francis Ader. « Et malgré leur bonne volonté, le Conseil Régional, le Conseil Départemental et la DREAL n’ont pas pu être des nôtres. Ils sont pourtant très demandeurs de ce type de journée. Il y a donc de fortes chances qu’on en programme une autre d’ici l’an prochain. Nous avons tous à y gagner en travaillant en partenariat, en se connaissant mieux entre les différents services et organismes, et en partageant nos expériences respectives. » Un défi d’autant plus important que la France et l’Union Européenne semblent prendre conscience des enjeux économiques, environnementaux et sociaux engendrés par le pastoralisme et l’agriculture de montagne. Il serait alors dommage que la mise en œuvre des politiques publiques qui en découlent bloque sur un problème de compréhension…

 

Étienne Fréjefond a dit : » Avec cette journée, nous avons pu discuter des problématiques du pastoralisme, au-delà du cas pratique de ce Groupement Pastoral. Le nombre de services de la DDT présents montre qu’il était important pour nous d’entendre les questions des éleveurs sur l’interprétation des règles de la PAC et des MAEC et de comprendre leur gestion des troupeaux en altitude. J’ai senti les éleveurs et leurs techniciens rassurés de voir leur estimation des proratas déclarés confortée par les services de l’ASP.
Bien évidemment, tout n’a pas été réglé aujourd’hui. Sur le financement des cabanes pastorales ou le gardiennage, il y a un travail important à mener avec la région, qui n’a pas pu participer à cette visite. De même, il reste encore des questions sur les Droits à Paiement de Base ou les Indemnités Compensatoires de Handicap Naturel. Mais il est significatif de constater qu’il n’y a pas de difficultés majeures dans les dossiers que nous avons abordés.
Ce genre d’initiative devrait se renouveler plus souvent. »

Dossier réalisé par S.G. (TUP 31), Mathilde Espinasse, Leslie St-Geniez et François Demessaz (Chambre d’Agriculture 31)

* ACAP : Assemblée des Chambres d’Agriculture de Pyrénées

 

MAEC: Un projet concret pour les estives grâce à Natura 2000

Un des outils du second pilier de la PAC, les Mesures Agro-Environnementales et Climatiques sont des dispositifs d’aides destinés à accompagner les exploitations agricoles qui souhaitent mettre en place des pratiques agricoles favorables à l’environnement. Elles visent à répondre à l’ensemble des enjeux environnementaux (eau, biodiversité, paysage, zones humides, sol, climat, risques naturels) qui ont été retenus à la fois à l’échelle européenne, mais aussi à l’échelle nationale et régionale.
En Midi-Pyrénées, l’ouverture aux MAEC a fait l’objet d’un appel à projets lancé par le Conseil Régional et la DRAAF. Il a donc été demandé aux porteurs de projet de cibler les territoires répondant à des critères environnementaux stricts, identifiés par le Plan de Développement Rural Régional (PDRR) de Midi-Pyrénées.
Les sites Natura 2000 faisant partie des « territoires cibles », la Chambre d’Agriculture 31 a déposé, en janvier 2015, un PAEC (Projet AgroEnvironnemental et Climatique) comprenant les estives des sites Natura 2000 des vallées du Lys, de la Pique et d’Oô. Ce projet a été retenu, avec un financement accordé de 936.100 € pour la tranche 2015, à engager sur 5 ans.
Sur le secteur de St Béat, l’AREMIP (association qui anime la zone Natura 2000 de la Haute Vallée de la Garonne et du Gar Cagire) a déposé un dossier PAEC qui a, lui aussi, été retenu pour les groupements pastoraux des cantons.
Enfin, pour les estives qui ne se situent pas en zone Natura 2000, la Chambre d’Agriculture 31 a déposé un avant-projet, pour la campagne 2016, pour une MAEC SHP (Surfaces Herbagères Pastorales).

Auteur de l’article : Sébastien Garcia

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