Une manif’ monstre pour empêcher l’irréparable

Publié le 19 février 2014

1.500 manifestants et 250 tracteurs… Si la Préfecture avait besoin d’un signal fort pour comprendre le désarroi et la colère des agriculteurs de la région, cette mobilisation sans précédent était le plus bel argument à avancer. Malgré quelques explications un peu « rugueuses » entre agriculteurs et policiers en fin de manifestation, l’essentiel de la journée s’est déroulé dans une ambiance plutôt calme, compte-tenu des enjeux de cette manifestation.

Une Préfecture sur les dents

Si beaucoup d’agriculteurs s’étaient levés très tôt, qui pour soigner les bêtes avant de partir, qui pour prendre un des bus affrétés par les FDSEA et JA des départements de Midi-Pyrénées et de l’Aude, ou encore les chauffeurs des tracteurs qui allaient rejoindre Toulouse, d’autres n’ont pas non plus fait la grasse matinée, ce 14 février. En place dès le petit jour, gendarmes, policiers et CRS verrouillaient en grand nombre les points stratégiques du parcours. « Ils ont supprimé les permissions et congés de tout le monde, ce qui est plutôt rare », confiait un gendarme encadrant l’un des convois de tracteurs. « La

Les agriculteurs sont venus de toute la région et au delà pour exprimer leur colère
Les agriculteurs sont venus de toute la région et au delà pour exprimer leur colère

Préfecture doit vraiment être inquiète. » Au point de rendez-vous du Chemin des Étroits, au sud de Toulouse, c’étaient des motards de la gendarmerie de St Gaudens qui arrivaient en urgence, au moment où le cortège repartait, vers 10h30. Il faut dire que la mobilisation, pourtant annoncée comme importante par les organisateurs, dépassait de loin les prévisions. « On n’avait pas vu ça depuis au moins 20 ans », disaient entre eux quelques syndicalistes chevronnés.

« À la manifestation de 2009, qui était pourtant bien suivie, il n’y avait qu’une centaine de tracteurs. Il y en a au moins le double aujourd’hui ! » Côté FRSEA et JA Midi-Pyrénées, on ne cachait pas sa satisfaction. « Si avec ça, le Préfet refuse de nous écouter, c’est qu’il veut vraiment l’affrontement », estimait Luc Mesbah, Président de la FDSEA 31. Si l’ambiance était plutôt détendue dans les divers points de ralliement, la détermination de tous les manifestants était indiscutable. « Là, c’est bon, y en a marre ! », lâchait un éleveur laitier. « Jusque-là, je trouve qu’on a été gentils, qu’on a fait le dos rond, etc, mais maintenant, faut arrêter. Le ras-le-bol est général. Il n’y a qu’à regarder les présents aujourd’hui pour voir que c’est grave. Je vois des gars qui n’étaient jamais sortis auparavant. Il va bien falloir que ça bouge du côté de la Préfecture. »

Parfum de campagne à la ville

Parti vers 11h du Stadium, point de ralliement général, l’énorme cortège de tracteurs et camions, souvent mis à disposition par les coopératives régionales solidaires du mouvement, s’est dirigé tant bien que mal vers la Place Saint Étienne. Une vision impressionnante pour les toulousains, que de regarder défiler ces engins sur deux, trois, voire quatre rangées sur les boulevards les plus larges, sur près de 3 km de long. Si le trajet jusqu’à la Préfecture s’est passé dans de bonnes conditions, c’est à l’arrivée que les choses se sont un peu gâtées. Défendue par des grilles et un camion d’intervention, un large cordon de CRS et de policiers en civil interdisait l’accès des tracteurs à la place Saint Étienne. Outre les manifestants, seul un tracteur a eu l’autorisation de s’approcher des barrières de sécurité protégeant la Préfecture pour y déposer un modeste tas de fumier. Le reste des véhicules a dû se contenter de stationner autour du Monument aux Morts voisin. « Si le préfet ne veut pas nous voir, il va au moins nous sentir ! », lançait alors, excédé, Étienne Barada, Président des JA de Midi-Pyrénées. Pendant deux heures, alors que les manifestants venaient tour à tour se restaurer au stand tenu par des adhérents de la FDSEA 31, ce ne seront pas moins de 5 tonnes de fumier qui atterriront sur le pavé de la rue de Metz, à l’entrée de la Place, par une dizaine de camions et de tracteurs. De quoi faire flotter durablement sur le quartier le fumet de la colère des agriculteurs de la région… et agacer les forces de l’ordre. Assez tendue depuis l’installation des manifestants sur la place Saint Étienne, la situation a quelque peu dérapé vers 14h. Alors qu’une délégation était reçue par le Préfet, des heurts ont éclaté entre policiers et manifestants qui tentaient de faire entrer un Manuscopic sur la place. Dispersés par canon à eau et des gaz lacrymogènes, les agriculteurs ont haussé le ton. Il a fallu qu’Yvon Parayre, Président de la Chambre d’Agriculture 31, sorte précipitamment de la rencontre avec le Préfet pour aller, avec Christian Mazas, Secrétaire Général de la FDSEA 31, calmer les esprits des deux côtés. Une courte mais grosse montée en pression qui a été entendue par Henri-Michel Comet, selon Yvon Parayre.

Les lignes bougent

"Puisqu'on aura plus le droit de l’épandre dans nos champs, on a décidé d'amener notre fumier directement à la préfecture..."
« Puisqu’on aura plus le droit de l’épandre dans nos champs, on a décidé d’amener notre fumier directement à la préfecture… »

« La position du Préfet équivaut au licenciement pur et simple des agriculteurs », déclarait le Président de la Chambre d’Agriculture 31 aux manifestants, à la sortie de la délégation. « Mais comme nous ne sommes pas une grosse entreprise, c’est un licenciement silencieux. Mais quand la société s’apercevra des dégâts, il sera déjà trop tard. C’est pourquoi nous avons maintenu au Préfet que tous les hectares de notre région seront cultivés. J’ai d’ailleurs proposé au Préfet, s’il refusait d’entendre nos propositions, de venir expliquer, en personne, sa position devant vous. Vous le voyez, il a décliné l’invitation, ce qui laisse à penser qu’il reconsidèrerait certaines questions. Et s’il avait du mal à faire passer notre message à sa hiérarchie, nous lui avons rappelé qu’on pouvait aller nous adresser directement au ministre de l’agriculture ou, encore plus facilement, au ministre de l’écologie qui réside à côté d’ici, dans le Gers. » Une fermeté de ton de la délégation qui aura peut-être servi à faire bouger les choses. Car il y a eu des avancées lors de cette rencontre (voir encadré FRSEA/JA MP). « C’est grâce à votre mobilisation que nous avons enfin un espoir d’être écoutés », annonçait d’emblée Hervé Péloffi, Président de la FRSEA Midi-Pyrénées, visiblement très remonté. « Des points sur lesquels le Préfet refusait tout compromis sont en passe d’être débloqués. Mais il est inacceptable qu’il faille une démonstration de force comme celle-ci pour arriver à discuter ! Tout comme il est inacceptable de se faire gazer par la police pour deux malheureux tas de fumier. Les forces de l’ordre, on aimerait bien les voir plus souvent dans nos campagnes, là où les cambriolages et vols de matériel agricole explosent. Et pas face à des gens qui travaillent dur, nourrissent le pays, modèlent les paysages et qui sont pourtant traités comme des voyous et des pollueurs par une administration qui ne comprend plus rien à l’agriculture ! Il est plus que temps que le bon sens reprenne le dessus. Des efforts, on en a fait, on en fait encore et on continuera. Mais nous refusons de subir ces aberrations réglementaires qui vont tous nous laisser sur le carreau ! Rien n’est encore réglé pour le moment. Le dossier est dans les mains du Préfet. Je vous appelle donc à rester mobilisés et prêts à revenir s’il le faut. Il ne faut rien lâcher. Nous sommes le 1er syndicat agricole de France, nous savons prendre nos responsabilités à chaque fois qu’il le faut, mais nous savons aussi montrer notre force si on nous pousse à bout. »

Sur ce discours très applaudi, la manifestation s’est dispersée, comme prévu, vers 14h30. Les cortèges de tracteurs ont, comme à l’aller, provoqué de nombreux bouchons dans le centre-ville et sur les rocades toulousaines. « Ce n’est pas par plaisir qu’on est venu », s’excusait un agriculteur auprès d’un passant. « Nous sommes désolés de cette pagaille mais là, il y avait vraiment de quoi se mettre en boule. » Un message apparemment pas trop mal perçu par les toulousains malgré, une fois de plus, la trop légère couverture par des médias de moins en moins intéressés par l’agriculture et qui ont eu du mal à retranscrire les tenants et aboutissements de cette manifestation. Là aussi, il reste un gros travail à faire…

 

Communiqué FRSEA/JA Midi-Pyrénées
La mobilisation remet le débat dans le bon sens
Alors que, par la concertation, la copie du Préfet ne variait pas d’une virgule, depuis des mois, sur la préparation du 5ème programme d’actions « Nitrates », il semble que les lignes pourraient maintenant bouger. La mobilisation paye et donne une nouvelle tournure à la négociation. Le combat n’est pas encore gagné, mais :
– sur les pentes, notre slogan « Toute terre doit être fertilisable » semble faire son chemin. Le Préfet a reconnu que cette réalité très régionale (3 autres régions s’en préoccupent aussi) est prise en compte par les deux ministres de l’agriculture et de l’environnement. Le Préfet n’exclut plus aucune piste de travail : modalités de calcul des pentes et/ou pratiques agronomiques ;
– les dates d’autorisation de destruction des couverts végétaux des 15 octobre et 1er novembre étaient jusqu’alors immuables. Le Préfet accepte de rouvrir ce dossier vers des dates plus précoces en saison ;
– le financement de la mise aux normes des bâtiments d’élevage était bloqué par un calendrier trop lent. Le Préfet a annoncé l’avance de 2 mois de ce calendrier pour permettre aux éleveurs de déposer leurs projets (a priori dès mars 2014, à confirmer) ;
– le contrôle de la fertilisation par 3 analyses a été ramené à 1 seule analyse ;
– le renforcement de la restriction d’épandage dans les 3 zones du sud et du sud-ouest de la région est un problème qui reste quasiment entier tant le Préfet s’en remet à l’avis de la commission européenne.

À part ce dernier point qui n’est pas satisfaisant, voilà un ton nouveau et de nouvelles bases ! Il reste un mois pour aider le Préfet, afin que son stylo ne dérape pas. Concernant l’entretien des cours d’eau, il lui a été rappelé que la réglementation doit être clarifiée et adaptée et surtout que les agents de la police de l’eau doivent intervenir avec beaucoup plus de discernement sur le terrain. Les shérifs et les cow-boys, maintenant, c’est au cinéma !

Contrôler les bons usages est une chose. La manière de le faire en est une autre… Une délégation avait été préalablement reçue au Conseil Régional, pendant que le cortège passait devant l’Hôtel de Région. Rappelons que le Conseil Régional, tout comme les Conseils Généraux de Midi-Pyrénées, sont consultés dans le cadre de l’élaboration de ce programme d’action. Les propositions syndicales ont donc été remises au Président de la Commission Agricole Régionale, en lui demandant de les faire siennes. Il a aussi partagé la motivation des agriculteurs pour une réglementation plus claire et plus souple sur l’entretien de cours d’eau, en prévention des inondations.

Auteur de l’article : Sébastien Garcia