Viande de cheval, les leçons de la crise

L’affaire est allée vite. Les autorités françaises sont alertées, le 5 février, de la découverte de viande de cheval dans des plats préparés à base de bœuf. Rapidement, le système de traçabilité permet de remonter la filière. La viande de cheval vient de deux abattoirs roumains et a été livrée puis stockée dans une entre prise frigorifique néerlandaise. Spanghero, professionnel français de la viande, a acheté des pains de viande de cheval surgelés à cette entreprise néerlandaise. Comigel, sous-traitant français basé au Luxembourg, a reçu de Spanghero les pains de viande surgelés, les a décongelés puis les a transformés pour Findus ou Picard par exemple. L’enquête des différents États membres a permis les conclusions suivantes : aucune irrégularité n’a été commise par une société roumaine ou sur le territoire roumain. En revanche, les premières conclusions de l’enquête de la DGCCRF montrent une implication directe de Spanghero et de Comigel. Le premier maillon du circuit à étiqueter « viande bovine » de la viande chevaline est le français Spanghero qui, s’il était innocent, aurait dû être alerté du prix de la viande, achetée 50% moins cher que le prix du marché de la viande bovine. L’intermédiaire suivant, l’industriel Comigel, a donc reçu des pains de viande chevaline surgelés étiquetés « viande bovine ». Et au moment de décongeler la viande, Comigel aurait dû s’apercevoir du subterfuge qui portait sur la nature de la viande décongelé et non hachée. « Avant hachage, il n’est pas possible de confondre de la viande de cheval avec de la viande de boeuf. La couleur, l’odeur, le visu…c’est différent », explique Stéphane Touzet, Président de l’EWFC (regroupement des associations représentatives des contrôleurs de l’alimentation et des inspecteurs des viandes des pays de l’UE). Reste à élucider l’implication du négociant néerlando-chypriote, Jan Fasen, un intermédiaire du circuit frauduleux déjà condamné en 2012 pour avoir étiqueté « viande bovine » de la viande chevaline. Benoît Hamon a annoncé que l’affaire va être portée au tribunal correctionnel. Les personnes impliquées encourent deux ans de prison et 187.000 euros en tant que personne morale. « Le montant de la pénalité est en-deça des profits estimés par la fraude, qui sont de 750.000 euros », précise le ministre.

Tromperie économique

La chaîne frauduleuse mise à jour est une affaire d’États. On en parle moins, mais des affaires similaires ont été découvertes en Irlande et en Angleterre. L’ambassade de France en Irlande explique : « Nous avons reçu un courrier de la FSAI (Food Safety Authority of Ireland) annonçant les résultats d’analyse de test ADN effectués sur des steaks hachés échantillonnés du 7 au 9 novembre 2012 ». Les résultats montrent la présence de 29% de viande de cheval qui proviendrait de Pologne dans des steaks hachés de viande bovine. Les autorités irlandaises ont rendu publique cette enquête le 14 janvier et, le lendemain, les prélèvements ont commencé en Angleterre. Les diplomates français basés en Angleterre rapportent même que de la viande de porc provenant d’Irlande a été retrouvée dans des produits étiquetés « viande halal ». Ces enquêtes outre-Manche ont déclenché le début des enquêtes menées en France par les autorités publiques le 5 février.

Risques atomisés

De fait, l’affaire Findus n’est qu’une chaîne alimentaire frauduleuse parmi d’autres. Il est difficile de mesurer l’ampleur de ces circuits illégaux en Europe. Mais la perte de contrôle du transit des denrées alimentaires au sein du Marché unique européen qui est visible, elle, inquiète. Plus les échanges se multiplient, plus les intermédiaires s’atomisent, plus le système de sécurité sanitaire et de traçabilité devient perméable. Le commissaire européen à la santé et à la protection des consommateurs, Tonio Borg, rappelait le 13 février, que « les règles européennes en matière de traçabilité ont permis aux États membres de découvrir rapidement l’origine et la chaîne de distribution des produits frauduleux ». Il n’empêche que le Français Christian Le Lann, Président de la Confédération de la Boucherie, ne l’entend pas de la même oreille : « Je ne dénonce pas les entreprises industrielles, mais un système qui entraîne fatalement des dérives ou des accidents ». Cette affaire ne remet pas en cause les fondements du système de traçabilité ou de sécurité sanitaire en Europe, mais plutôt le modèle agro-industriel atomisé entre les mains d’une multitude d’intermédiaires européens, qui multiplie à son tour les risques potentiels de fraude.

Gestion de crise

L’État français a retenu la leçon et réagit rapidement. « Nous mettons sous contrôle la filière viande et poissons pour toute l’année 2013 », a déclaré Benoît Hamon le 11 février, à la sortie d’une réunion d’urgence entre les pouvoirs publics et les acteurs de la filière agroalimentaire française. L’État entend ainsi intensifier les contrôles sur les approvisionnements, la transformation et la commercialisation. « L’ensemble des grossistes et des importateurs est concerné », a précisé le ministre de la Consommation. Les pouvoirs publics procéderont à des contrôles dans les Grandes et Moyennes Surfaces (GMS) à partir d’un échantillonnage de produits. Par ailleurs, la DGCCRF devrait fournir une liste complète des clients de Spanghero et de Comigel, afin de s’assurer que l’ensemble des produits litigieux a été retiré des linéaires. « Spanghero s’est d’ores et déjà vu suspendre (définitivement en fonction des résultats finaux de l’enquête) son agrément sanitaire et ne peut plus exercer », a pour sa part déclaré Stéphane Le Foll, le 14 février, après les premiers résultats de l’enquête menée par la DGCCRF. En outre, le système d’alerte et l’autocontrôle par les entreprises devront être renforcés : « Une viande achetée à un prix inférieur au prix du marché doit être un indicateur pour le système d’alerte », soutient Stéphane Le Foll. Des contrôles pourraient utiliser la technique de l’ADN, plus coûteuse mais plus fiable, pour détecter l’origine des viandes.

Mesures de fond

Après les contrôles, la prévention. « Il nous faut tirer les leçons de ce qu’il s’est passé », affirme Stéphane Le Foll. Les pouvoirs publics français entendent aller de l’avant aux côtés de leurs homologues britanniques et de la filière agroalimentaire française. Une de leurs propositions est l’étiquetage de l’origine des viandes, actuellement en vigueur pour les viandes fraîches, mais qui pourrait s’étendre aux viandes transformées. « Aujourd’hui, la viande bovine fraîche est tracée de telle façon que l’on peut remonter à l’éleveur et à l’animal », explique-t-il. « Mais il faut que l’étiquetage de l’origine soit étendu aux viandes transformées. C’est un moyen nécessaire pour limiter la fraude ». Il déclare avoir le soutien de son homologue britannique. Et il appellera son homologue roumain pour aller dans cette direction. « L’étiquetage de l’origine de la viande dans les plats préparés est un dossier porté par les professionnels de la filière viande française », assure Dominique Langlois, Président d’Interbev (interprofession bétail et viande). Tous les professionnels, des producteurs aux industriels, ont voulu le rappeler. Un autre dossier sur lequel se pencheront les pouvoirs publics est l’extension des normes de sécurité sanitaire et de traçabilité aux négociants. « Il nous faut lancer une réflexion sur les agréments pour les traders. Aujourd’hui, il n’y en a pas », regrette Stéphane Le Foll. Les faits récents prouvent la pertinence d’engager une telle réflexion, car les opérateurs sont nombreux et, par leur intermédiaire, transitent des tonnes de viande à travers tout le Marché unique européen.

Confiance des consommateurs

« En face du circuit frauduleux, la majorité des acteurs des filières agricoles et agroalimentaires est honnête », insiste Stéphane Le Foll. Face au scandale de la fraude, redonner la confiance aux consommateurs n’est pas une tâche aisée, mais les trois ministres sont déterminés à amener une transparence totale aux consommateurs. Ce peut être une occasion de relancer la place de la viande française dans les produits transformés. « La France doit anticiper et progresser plus vite. Les marques VBF (viande bovine française) et VPF (viande porcine française) existent et tracent parfaitement la viande depuis les exploitations agricoles jusqu’aux GMS », rapporte le ministre de l’Agriculture. Les filières viandes françaises des industriels aux éleveurs soutiennent l’étiquetage national de l’origine. Le Sniv-SNCP (entreprises françaises de viandes) a, pour sa part, rappelé « sa demande de longue date d’une généralisation de l’obligation d’étiqueter le pays d’origine de toutes les viandes commercialisées qu’elles soient fraîches ou transformées ». La Fédération nationale bovine (FNB) invite fermement l’ensemble des marques de produits cuisinés et marques de distributeurs à s’approvisionner en viande française sans délai, et à « matérialiser cet engagement par le logo VBF ». Le discours est le même en filière porcine. La Fédération Nationale Porcine (FNP) qualifie, dans un communiqué, de « grave erreur » la stratégie « d’importants industriels peu regardants de s’approvisionner hors France, en quête de prix toujours plus bas imposés par leurs clients ». La question de fond est bien de réorienter les approvisionnements des industriels français chez les éleveurs français. L’équation n’est pas si simple. En 2012, la filière viande bovine française est déficitaire avec 373.000 tonnes équivalent carcasse (téc) importées, contre 268 000 téc exportées selon une étude de l’Institut de l’Élevage sur « L’année économique 2012 en filière viande bovine ». Reste la question des prix. Si les réseaux d’approvisionnement étrangers se sont considérablement développés, c’est en grande partie en raison de la pression sur les prix. Certes, les fraudeurs sont français mais leurs réseaux sont internationaux. Selon Coop de France, « comment ne pas dénoncer cette course folle à la recherche des prix toujours plus bas avec la conséquence de susciter de tels risques ? » Redonner une place plus grande à l’approvisionnement français ne se fera qu’à deux conditions : soit le consommateur – et donc le distributeur – accepteront de payer plus cher pour des approvisionnements mieux sécurisés ; soit la compétitivité des productions françaises s’améliorera suffisamment pour dissuader les industriels et d’éventuels fraudeurs d’aller chercher ailleurs leurs viandes.

Derrière la crise, de nouveaux horizons se profilent pour l’industrie agroalimentaire européenne dont l’avenir dépend incontestablement du comportement des consommateurs au moment de leurs achats. Faire preuve d’une transparence totale sur l’origine des denrées alimentaires, c’est redonner aujourd’hui la liberté au consommateur de choisir l’agriculture et l’agroalimentaire qui lui fournira, demain, son alimentation.

Clio Randimbivololona (AgraPresse)

 

Quelle gouvernance pour les coopératives ?
Une des nombreuses leçons à tirer de la crise de la viande de cheval est aussi celle de la gouvernance des coopératives.

C’est en tout cas une des leçons que l’on tire au sein du mouvement coopératif agricole, où cette question est souvent abordée dans des groupes de travail. La société Spanghero est, en effet, filiale de la coopérative Lur Berri, depuis sa reprise en 2009. À l’époque, l’accord entre Lur Berri et la famille Spanghero prévoit que Jean-Marc Spanghero reste directeur général de l’entreprise. Mais les résultats ne sont pas satisfaisants. En 2011, un autre industriel de la viande, Jacques Poujol, vend à son tour son entreprise au groupe Arcadie, dont Lur Berri est actionnaire. Celle-ci lui demande alors de gérer sa filiale Spanghero, renommée « À la table de Spanghero ».

Quelles sont les responsabilités partagées entre le directeur général de la filiale de droit privé et les administrateurs coopérateurs de Lur Berri, conduits par le président Sauveur Urrutiaguer ? C’est une question qui n’est pas tranchée. « Je ne puis croire un instant que Sauveur Urrutiaguer ait été au courant », confie Philippe Mangin, Président de Coop de France. L’événement pose bien tout le problème du contrôle des administrateurs et présidents de coopératives sur la gestion des directeurs et cadres de ces entreprises et de leurs filiales. Le législateur pourrait d’ailleurs prochainement se pencher sur la question.

Dans des métiers devenus extrêmement complexes, avec des filiales parfois en roue libre, les propriétaires coopérateurs que sont les agriculteurs doivent redoubler d’attention. Pour éviter d’être abusés.

Hervé Plagnol – AgraPresse

Auteur de l’article : Sébastien Garcia